70 Perso - août 2018 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 29 août 2018

Passage




Faut-il scinder le mot "passage" ou bien recoller les morceaux ?
Ce serait par exemple un garçon. Tendre, attentionné, quasiment amoureux. Sa main tendue passerait de son épaule à lui à sa main à elle. Il n'aurait plus besoin de danser seul. Parce qu'Un chant d'amour a ses limites. Peau à peau. Un équivalent moderne au Bal des pompiers ? Elle pourrait décider de briser le sort qu'elle s'était infligée. C'est courant. Électrique. Il faut bien une fin pour que l'histoire puisse commencer. L'éternité serait un mythe. Qui décide de la fréquence du cycle ? Messieurs dames, la révolution est annoncée. Petites trompettes héroïques tenues par quatre chats blancs. L'élu se cache souvent derrière le messager. Les verdicts qui tombaient comme des sentences glissent maintenant comme des mouches. Ils s'effacent devant ces signes incurvés : des ? en veux-tu en voilà. Je ne connais rien de plus beau qu'une question. Les enfants répètent pourquoi. Inlassablement. La maturité nous empêcherait-elle d'avancer ? Il ne suffit pas d'attendrir la chair, il faut s'attaquer au cerveau. Imposition des mains. L'énigme est dans les yeux. Le secret dans les mains. L'épicentre serait le cœur. Penchez-vous, là, plus près ! Écoutez-le battre. Trop lent il s'éteindrait. S'il s'affole on situera l'émotion à son endroit. Il est à l'origine de tous les rythmes. Les mélodies viennent de plus haut. Je les entends d'abord en stéréo, puis elles se mettent à tourner, tourner. Trouver l'harmonie. L'horizon. La tempête. Une petite lumière. Vertige. À en perdre la boule. Pourtant I Know Where I'm Going...

lundi 27 août 2018

Tout homme détient dans ses mains son destin


"Lorsque je réalise que rien ne peut m'affecter sans mon consentement profond, je conquiers mon pouvoir."
Tandis que je fais part à mes amis de ma détermination de vivre sans regret ni reproche, Marie-Laure me rappelle cette citation de sa thérapeute qui remet à leur place les responsabilités de chacun, en particulier face à la souffrance. Étant moi-même particulièrement volontariste, je me demande si c'est indispensable pour réapprendre à vivre. J'aimerais tant convaincre mes camarades qui se croient inconsolables à prendre de la distance avec leur passé. Ils et elles savent pourtant que l'on ne vit qu'une fois. Plus on avance dans l'existence, plus la détermination devient cruciale.
Or comme la plupart des garçons je suis douillet, je déteste avoir mal, que ce soit moral ou physique. Pendant des années je me suis donc penché sur la douleur. J'avais vingt ans lorsque Jean-André Fieschi me fit lire Bras cassé de Henri Michaux un soir où un panaris au pouce me lançait au delà du supportable. Décrivant la douleur le poète l'apprivoise, et je réussis à m'endormir. J'ai donc appris à lui donner des noms, des adjectifs, des verbes, savoir si ça tape ou si ça pince, si c'est sourd ou aigu, etc. Sur les montagnes russes chacun ressent les mêmes sensations, ceux qui foncent dans le mouvement s'amusent, ceux qui lui résistent vomissent en sortant. Un jour qu'un voyou me ficha une violente claque sans raison, mon oreille siffla pendant plus d'une heure, mais j'en restai là. Si j'avais ruminé ma colère, la douleur aurait pu durer bien au delà de ces soixante minutes. Un jour, une semaine, un mois, trois ans, toute une vie peut-être, allez savoir ! Je serais alors resté l'unique facteur de cette souffrance. J'apprends donc à la circonscrire, je l'apprivoise tant qu'elle est fraîche. Cette pratique ne demande qu'une petite concentration en amont pour court-circuiter les rémanences qui nous pourrissent la vie. Un autre jour, un ostéopathe de Metz me donne les bases de l'EMDR que je pratique de temps en temps avec succès en l'adaptant à une sorte d'auto-hypnose pour effacer la mémoire du corps. J'ai eu l'idée d'utiliser le balancier d'un métronome pour n'ennuyer personne. L'EMDR fonctionne très bien pour les chocs traumatiques et les problèmes récurrents.
En 1977, dans le premier disque d'Un Drame Musical Instantané, Trop d'adrénaline nuit, Bernard Vitet et moi clôturons ensemble la première face en prononçant chacun une phrase. Tandis que Bernard cite Mallarmé (Un coup de dés jamais n'abolira le hasard), je scande le texte de Jean Vigo (Tout homme détient dans ses mains son destin). Les deux phrases ne se contredisent pas, elles se complètent. D'autre part, il ne sert à rien de maudire le passé ou de le ressasser. Malgré tous nos efforts nous sommes incapables de revenir en arrière. Le vase brisé ne retrouve pas sa forme comme dans un film de Jean Cocteau où il rembobine le temps avec une grâce de danseur. Face à l'absurde je ne peux qu'accepter les faits, sans jouer le rôle de la victime. Par contre il m'incombe de décider de leur impact sur moi, sur mon corps, sur mon moral. "Lorsque je réalise que rien ne peut m'affecter sans mon consentement profond, je conquiers mon pouvoir."

mardi 21 août 2018

Couper-coller


La première fois, nous nous étions mariés parce que je n'avais pas la garde partagée, et donc aucune autorité en cas de décès ou même d'absence de la mère de ma fille. Je n'aurais, par exemple, pas pu la faire opérer si cela avait été nécessaire. Ou bien une personne de la famille de sa maman aurait pu en exiger la garde, prétextant que j'aurais été un mauvais père. Cette probabilité était peu envisageable, mais allez savoir comment chacun/e réagit à la catastrophe. La naissance et la mort suscitent des réactions imprévisibles, parfois inexplicables. Il aurait fallu sinon passer devant un juge. Nous avions choisi la simplicité, la mairie du XIème. La loi a changé depuis. Nous nous sommes mariés sans alliances, avec deux amis comme témoins. Comme il fallait aller chercher notre fille à la crèche, nous n'avons même pas eu le temps de leur offrir un coup au café du coin. Ce verre, nous l'avons pris à deux, juste après avoir divorcé, au café situé en face du Palais de Justice, une dizaine d'années plus tard. Divorce à l'amiable avec la même avocate. Nous sommes restés amis. Je plains les couples qui ne se parlent plus, incapables de se souvenir des moments heureux passés ensemble. On ne peut pas réécrire le passé, même si personne ne vit le même. Nous sommes tous et toutes responsables de nos choix.
Le mariage est un carcan social. L'amour n'y a pas sa place. On va y chercher l'assentiment de la société, le regard des autres, une officialisation en paraître. La famille est un solide moyen de pression pour calmer les révoltes. Techniquement cette institution peut offrir autant d'avantages que de désagréments. Chacun/e fait comme il l'entend, selon ses besoins et ses fantasmes. Mais plus le mariage est simple, plus le divorce, s'il a lieu, sera simple.
La seconde fois ne fut guère plus festive. Aller-retour à la Mairie quinze minutes départ arrêté avec deux voisins comme témoins. Personne d'autre présent que les responsables municipaux. Je voulais juste lui faire plaisir en répondant à sa demande, histoire de famille. Il est parfois difficile de se défaire des liens qui nous rattachent par le sang ! Cette pathologie n'épargne personne. Se protéger l'un l'autre fait partie des alibis techniques que la loi perverse nous suggère. La première comme la seconde fois je m'en fichais, ne pensant qu'à l'amour, seule union réelle à mes yeux. Treize ans et seize ans fantastiques avant qu'un jour tout s'écroule pour des raisons souvent qu'aucun des protagonistes n'est capable d'identifier sérieusement dans l'instant. Plus tard, parfois, je ne sais pas. Mais de l'amour il y en eut, beaucoup. Et il y en aura.
Aujourd'hui un divorce simplifié à l'amiable prend un mois, disons deux le temps de rassembler le dossier, de prendre rendez-vous chez l'avocat dont les honoraires ont considérablement baissé dans ce cas de figure. Séparation. C'est tout. Sans heurt, courtoisement, presque tendrement. Je ne sais pas grand chose. L'avenir, seul "conte". Pour voir.

vendredi 10 août 2018

Nuage


À la rentrée de septembre je ne pense pas continuer à publier un article quotidien comme je le fais depuis 13 ans. Des évènements récents dans ma vie me poussent à interroger chacun de mes gestes, à en peser leur opportunité. C'est dire si les hoquets sont nombreux. En août 2005 lorsque j'ai entamé ce périple incroyable, je ne savais pas qu'il prendrait une telle dimension, accumulant près de 4000 articles. Je continuerai à bloguer pour défendre celles et ceux que "les professionnels de la profession" négligent, pour apporter un contrechamp à ce que les médias présentent comme évidences, pour raconter ce que je ne saurais taire et partager mes passions, mais je lèverai probablement le pied en publiant un peu moins souvent, du moins pendant un moment, le temps de retomber sur les deux miens. J'ignore encore si j'opterai pour une régularité repérable ou si je miterai les semaines, histoire de ne publier que l'indispensable. J'ai toujours pensé qu'un artiste se reconnaissait à son inaptitude à choisir. Il faut que ça sorte, voilà tout. Pas moyen de faire autrement. Dans Crimes parfaits, pièce clef de 1981 d'Un Drame Musical Instantané, on entend Luc Ferrari dire, amusé, "Malheureusement c'est comme ça qu'on le joue !"...
Lorsque ma courbe a croisé l'axe des abscisses j'ai bêtement cru qu'elle était ascendante. Faut-il que je sois naïf pour avoir négligé les forces à l'œuvre, mélange de dérive freudienne et d'intrigues shakespeariennes qui me sont heureusement dans ce cas étrangères ! J'ai au moins la chance qu'elles ont épargné le fragile édifice que j'eus la patience d'ériger depuis mes vingt ans, conscient que la route serait longue et encombrée d'obstacles. Pour cette raison j'ai toujours favorisé le vecteur à la cible. Perché sur mon épaule, le petit criquet paternel qui se réfléchit dans la glace ne cesse de m'aider à garder le cap malgré les tempêtes qu'il m'arrive de déclencher moi-même !
Cette année fut donc lourde et chargée, si je prends en compte le calendrier scolaire. À l'école de la vie, la rentrée de septembre a toujours marqué pour moi le nouvel an. Comme annoncé en juin avant que le ciel ne se couvre, je remets tous les compteurs à zéro. Une nouvelle vie s'ouvre à moi dont je ne connais absolument rien. Les premiers pas sont forcément hésitants. Je relève la tête pour étudier les nuages. Le nez en l'air, il n'y aurait rien d'étonnant à ce que je sois maladroit. Mais comme dans le sublime film de Michael Powell, Je sais où je vais...

→ John Constable, Cloud Study, 1822

mercredi 8 août 2018

Effondrement


En reprenant son lit naturel, la rivière a provoqué un glissement de terrain, emportant tout sur son passage. Le torrent de boue a vrillé le passé tant qu’il ne reste qu’un château de cartes écroulé sur lui-même. Là c’est plat, avec des grumeaux qui suggèrent une souffrance. Ailleurs la crevasse a empêché les sauveteurs d’installer un pont, même provisoire. Je ne reconnais plus le paysage. Pendant quinze ans le beau temps s’est moqué de la météo, qu’il pleuve ou qu’il vente, qu’il grêle ou qu’il neige, que la canicule nous assaille ou que la chaudière tombe en panne. À l’annonce du tournant le ciel s’est voilé, la face a masqué, la pile a perdu son jus. J'étais heureux. Je sentais évidemment les problèmes que l'on assimilera plus tard aux signes avant-coureurs. On dit toujours cela après l'orage. Au bout de quelques mois de ce régime qui n'avait rien de mûr, la terre s'est soulevée. Nous avons été recouverts de merde à n'en plus respirer. Pendant trente jours j'ai suffoqué sans savoir que faire, attendant un signe qui n'est jamais venu. [En français, Ace in the Hole de Billy Wilder est traduit Le gouffre aux chimères. J'aurais préféré The Fountainhead de King Vidor, traduit Le rebelle. La passion à l'état pur.] Il y a un décalage entre la réalité et la fiction, entre la situation et les suppositions. Les analogies sont poétiques. Comme des plans sur la comète. Depuis que j'en ai fait mon deuil, l'horizon se dégage doucement. Pourtant si sombre qu'on y voit goutte. Goutte à goutte qui nourrit l'espoir du réveil. Dans l'immédiat on quadrille la feuille de route avec d'humbles petites lignes, fines, bien rangées, qui plongent tout de même dans l'encre de la nuit. Et l'on rêve d'un ailleurs... D'un jour... D'une autre fois...

mercredi 1 août 2018

Absence


La maison semble abandonnée, sur le mur décrépit est accrochée l'image d'un rêve, le ciel bleu, le soleil et la mer, les portes sont autant de possibles que d'impossibles, les fenêtres ouvertes sur un lendemain dont on ignore tout encore. Un asile, une île, déserte. Depuis un mois je fais juste semblant en ne publiant rien, mais à quoi rime de tenir un journal si l'on tait ce à quoi l'on tient le plus ? Le pire est que je ne sais rien ni pourquoi. Vacances annulées, tant en juillet qu'en août. J'avais souhaité une remise du compteur à zéro, je suis servi. N'en jetez plus!
Comme je suis volontariste, j'en profite pour "faire la vaisselle". Je passe le Kärcher dans la cour, j'aspire les feuilles mortes du jardin, je fais les carreaux, je resserre des vis qui ont pris du jeu, et puis j'expérimente mon nouveau synthétiseur russe, un Lyra-8 très "noise". J'ai beaucoup de mal à écrire. J'arrive à peine à lire et regarder des films. La vie réserve de drôles de surprises, parfois des plus absurdes. L'argent pervertit trop souvent les meilleures intentions. Une cruelle incertitude me prive de tout. Qui vivra verra... Heureusement Oulala et Django me tiennent compagnie à grand renfort de miaulements intempestifs et les premiers retours de mon Centenaire sont excellents. Les amis m'invitent à dîner, mais je n'arrive pas à sortir "en ville". La foule en rajouterait à ma solitude. Il y a néanmoins et heureusement le concert, dans la nuit du 11 au 12 août au Festival Château Perché, de Harpon, duo avec Amandine Casadamont pour lequel j'ai créé une page web. J'en ai aussi profité pour mettre une douzaine d'albums sur Bandcamp, cela prend du temps, ou plutôt cela occupe. Tôt le matin je passe nourrir la tortue des voisins, une endive, quelques feuilles de chou chinois et une fraise en dessert. J'enchaîne avec un footing à jeun avant de suer un petit coup au sauna. Le bon côté des choses est que je maigris. Je mange essentiellement les légumes de l'AMAP que je vais chercher chaque lundi, une véritable orgie légumière. Je dors peu d'habitude, mais là mon sommeil s'est réduit au strict minimum. Je passe par de longues phases d'abattement, de profonde tristesse, que je gère pourtant mieux que lorsque j'étais plus jeune. Tout cela ne rime à rien. Comme j'ai une soif de vivre inextinguible, tous les espoirs sont permis. On ne se refait pas. Un paradoxe.