Pendant des années je n'ai pratiquement plus mangé de fruits sans en connaître la raison. Peut-être avais-je seulement la flemme de les éplucher ? Cuisinant de plus en plus souvent de légumes, l'idée de corvée d'épluchage est de l'histoire ancienne, mais mes mains en prennent un sacré coup. Je déteste enfiler des gants pour quelque tâche ménagère que ce soit, autant pour charrier du bois pour la cheminée que faire la vaisselle. Emmitouflé, j'ai l'impression que les objets m'échappent. D'où mes crevasses extrêmement douloureuses aux coins des ongles. Coquin, j'ai longtemps invoqué les dangers du couteau pour épargner mes mains de musicien, mais vivant à nouveau seul je ne peux me soustraire à aucune de ces activités, d'autant que j'aime que ma maison soit propre et ordonnée ! Ces coupures me contrarient et m'inquiètent un petit peu à quelques jours du concert de samedi prochain à Mains d'Œuvres*, nom prédestiné en regard de ces confessions...


La plupart du temps j'assimile bizarrement les fruits à des médicaments, par exemple comme si les agrumes rimaient avec vitamine C. Enfant je mangeais surtout des bananes, faciles à éplucher, en chantant "j'aime les bananes parce qu'il n'y a pas d'os dedans !". Mon père savait retirer la peau des poires sans les toucher, avec une fourchette et un couteau. Ces jours-ci je me repais de kakis à la petite cuillère. Mon goût pour l'exotisme culinaire m'oriente vers les fruits rares. Je me souviens des premiers kiwis importés par Paul Corcellet ou des litchis que nous ne connaissions au début qu'en boîte et au sirop. Ces jours-ci, avant le Nouvel An chinois, on trouve plutôt des longanes fraîches. On les reconnaît aux tiges qui sont absentes des surgelées. Face à un arbre fruitier ma gourmandise a pourtant toujours été insatiable, jusqu'à m'en coller des crampes intestinales carabinées. J'ai du me réfréner sur les figues de Marseille qui me rendaient complètement fou. Ce sont les fruits rouges qui me plaisent le plus ; dans l'ordre, framboises, mûres et mûres du framboisier, cerises, groseilles, fraises, sans parler des espèces sauvages que je privilégie par dessus tout. Adorant le sucre, j'ai donc un rapport ambigu aux fruits. Ils représentent la santé, mais comme la mienne a toujours été excellente, j'avais l'impression qu'ils étaient superflus. Peut-être aussi préférais-je d'autres desserts, comme les yaourts (avec du sirop d'érable, du miel ou de la confiture), la mousse au chocolat, les pâtisseries orientales ou la glace (je n'envisage pas l'absence de Berthillon au congélateur, mais les crèmes ont ma faveur au détriment des sorbets, à part celui au cacao bitter, un must absolu). Aujourd'hui je mange des fruits surtout à l'heure du goûter, loin des repas. J'essaie d'avoir une vie plus saine...

* Performance OSO (Ondes sur Ombres) Samedi 26 janvier à 19:30 / 20:50 / 22:05 avec Laurent Stoutzer (guitare)et David Coignard (installation vidéo) à Mains d'œuvres, Saint-Ouen lors du MOFO.