70 Perso - août 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 16 août 2019

Charrier dans les bégonias


En période estivale et sans mouvement migratoire de ma part, la maison et le jardin m'accaparent ! J'en profite pour préparer les prochains concerts et enregistrements.

Le 24 août, c'est une performance avec Anne-Sarah Le Meur à Victoria en Transylvanie, intitulée Melting Rust, à l'invitation de Dana Diminescu et Tincuta Heinzel. J'ai préparé des mouvements lents de morphing au clavier, que viennent déranger quelques lames acérées, pour accompagner les images que la plasticienne manipulera pour ce duo improvisé extrêmement coloré. D'autres artistes devraient participer à cette soirée liée à une résidence de deux ans autour de la ville utopique créée par les Soviétiques en 1948 et qui s'avérera une terrible dystopie sous le règne de Nicolae Ceauşescu... Décollage lundi prochain !

Le vidéaste américain John Sanborn m'a proposé de jouer au Blackstar à Paris le 20 septembre sur un montage d'une heure de courtes séquences de son projet NonSelf qu'il aura présenté le 17 au Jeu de Paume. Si la partition sonore jouera encore du synchronisme accidentel qui m'est cher, elle sera cette fois montée serrée comme si je rejouais en direct Le livre d'image de Jean-Luc Godard. Un éventail sémiologique acrobatique qui colle aux provocations époustouflantes de Sanborn qui projettera, la même soirée, Pensées aléatoires du futur et The Temptation of St. Anthony !

Également sur les rails mon prochain disque, Perspectives du XXIIe siècle, qui fera suite à mon Centenaire. Il est coproduit par le Musée Ethnographique de Genève (MEG) avec le précieux concours de Madeleine Leclair qui est également à la tête des Archives Internationales des Musiques Populaires (AIMP) fondées en 1944 par le musicologue et chercheur roumain Constantin Brãiloiu. De tous ces projets, en particulier très bientôt la résidence de Victoria (décidément la Roumanie va m'accaparer), vous entendrez parler plus précisément en temps et en heure, comme de la performance que je donnerai fin octobre à Vienne en Autriche avec Didi Bruckmayr pour le Klang50 de Walter Robotka... Plus proche, un album d'instantanés avec Jonathan Pontier et la guitariste Christelle Séry, et à la rentrée une nouvelle web-série sur l'intelligence artificielle...

Revenons à nos moutons, puisque ce n'est pas l'heure des chats, pas encore rentrés de leur virée nocturne ! Ces breaks horticoles m'aèrent la tête. Même s'il est déplacé de charrier dans les bégonias, je suis très fier que les miens aient repris dans le jardin. L'idée m'est venue de les évoquer tandis que je prenais ma douche froide en sortant du sauna. Un rayon de soleil traversait le feuillage du charme, éclairant juste l'endroit où je les avais rempotés alors que le bouquet initialement acheté Porte des Lilas semblait mort. Je n'ai pas spécialement la main verte, mais l'entretien du jardin me prend pas mal de temps, essentiellement à ramasser les feuilles mortes, arroser au besoin, tailler les branches qui risquent d'éborgner les passants, et planter quelques fleurs de temps en temps. Ces dernières années j'ai acquis deux machines qui ont changé ma vie de jardinier, une tronçonneuse et un aspirateur-broyeur. Vu la structure du jardin, la scie à bois et le balai ne me permettaient pas du tout de faire leur office. Alors, lorsque j'ai aperçu cette gloire au petit matin, je ne me suis plus senti pisser. D'où l'expression argotique qui date d'environ un siècle, sans que l'on sache exactement pourquoi des bégonias.

mercredi 14 août 2019

Culture


Qu'il s'agisse de la terre ou de l'esprit, d'une civilisation ou d'une personne, on parle de culture. J'aime penser que mon cerveau est un jardin qu'il faut entretenir, arroser et tailler. Certaines branches sont envahissantes. Leur impérialisme est assassin. Cela prend du temps, beaucoup de temps. Et j'éternue comme une mitraillette si j'y passe trop longtemps ! Mon goût pour l'encyclopédie et l'universalité me rend curieux de tout. J'aime le mélange. Des goûts, des parfums, des gens, des cultures aussi... Avant d'avoir un jardin, je maudissais la pluie. Aujourd'hui je l'apprécie autant que le soleil. Avant, je maudissais le froid. Mais nous en avons autant besoin que de chaleur, même si je rêve de changer d'hémisphère lorsque l'hiver approche.


Boris, le maraîcher de l'AMAP, m'avait donné deux plants de courgette en me disant que parfois ils prennent, parfois pas, sans trop savoir pourquoi. Question de terre, de soleil, d'humidité. En fait les mâles sont stériles. Un des pieds s'est avéré un pâtisson. Pour l'instant ils sont jaune citron. J'hésite à cueillir les fleurs et les faire frire, ou bien attendre que leurs fruits grossissent. Je les avais plantés dans un bac plein sud, mais protégés par l'immense yucca. Leurs feuilles sont énormes, un peu pointues pour les courgettes, plus rondes pour les pâtissons. C'est ma première courgette. Mais on commence à avoir marre de ces cucurbitacées que je cuisine à toutes les sauces. Elles peuvent se consommer crues ou cuites, bouillies ou sautées, assaisonnées simplement avec un filet d'huile d'olive et une pincée de sel ou dans de savants alliages que me suggère mon livre préféré depuis un an, L'essentiel de Chartier. Le Québécois indique qu'elle se marie bien avec l'agneau, la viande fumée, les fruits de mer, le céleri, les épinards, le parmesan, le fenouil, la baie de genièvre, la bergamote, la cardamome, la citronnelle, le curcuma, le galanga, le gingembre, le laurier, la muscade, le paprika, le romarin, le safran, la sauge, le thym, la verveine, les olives, les piments, les poivres, les agrumes, le pamplemousse rose... Ainsi qu'avec certaines bières, vins blancs, le gin, le matcha... Alors je fais des expériences !

mercredi 7 août 2019

Falbalas autour d'un anneau


À force de regarder des films récents qui me déçoivent il y a des soirs où le cinéma m'écœure. Je retourne alors vers ma cinémathèque qui compte des milliers de films que j'adore et font mon bonheur à chaque plan. La replongée dans les films de Jacques Becker me redonne foi dans le médium. Comme l'indispensable Jean Grémillon je le préfère à Jean Renoir dont Becker fut d'ailleurs l'assistant sur une dizaine de films. Chacun de ses longs métrages est une immersion rigoureuse dans un milieu social différent. Après avoir revu Le trou (1960), épure moderne où le récit d'une évasion est quasi bressonien, et Goupi Mains Rouges (1943), portrait exemplaire du monde paysan d'avant-guerre, la projection de Falbalas (1944) me réservait une surprise. Si jamais aucun film n'a jamais croqué aussi bien l'univers de la mode, c'est au détour d'une séquence aux Tuileries qu'une petite madeleine a surgi dans ma mémoire. Il y a quelques années je m'étais déjà organisé une rétrospective Jacques Becker en regardant à nouveau Dernier atout, Antoine et Antoinette, Rendez-vous de juillet, Édouard et Caroline, Casque d'or, Touchez pas au grisbi, Montparnasse 19, mais cette scène m'avait échappé, ou bien l'avais-je simplement oubliée...


Cet oubli me semble impossible au regard de ce que ce manège a marqué mon enfance. Si Micheline Presle (que je compte admirer prochainement dans le sublime L'amour d'une femme de Grémillon, film féministe de 1953) y retrouve Raymond Rouleau au Jardin des Tuileries, un détail hante depuis toujours mes ébats amoureux, et cela n'a pourtant rien à voir avec son évident symbole sexuel. Je n'avais pas cinq ans au début des années 50 et j'habitais rue Vivienne. Mon jardin quotidien était celui du Palais Royal, mais de temps en temps mes parents traversaient la rue de Rivoli pour m'emmener aux Tuileries faire une petite promenade à dos d'âne ou quelques tours de chevaux de bois. Je remarque pour la première fois là aussi une image fortement symbolique ! Donc, pour bénéficier d'un tour gratuit, il fallait enfiler une baguette de bois dans un anneau de métal suspendu au-dessus des animaux que nous chevauchions. Je n'étais pas très costaud et j'hésitais chaque fois à gagner, car la secousse que produisait la rencontre de la baguette et de l'anneau m'arrachait l'épaule.


Cette sensation de brûlure intense me terrifiait. Devenu adulte, je supportais difficilement de faire l'amour avec des filles qui avaient les oreilles percées, de peur de leur arracher une boucle dans un moment de fougue ! Cette panique de l'enfance me fit interdire à ma fille de se faire percer les oreilles lorsqu'elle était petite. J'ai heureusement résolu cette angoisse avec le temps, mais je préfère tout de même que ma compagne retire ses boucles d'oreilles avant que nous n'entamions un tour de manège.