70 Perso - décembre 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

vendredi 27 décembre 2019

Aux petits maux les petits remèdes


À l'heure où je publie ces lignes, c'est déjà passé, mais je ne sais pas comment j'avais attrapé la crève. Peut-être en sortant la poubelle à roulettes dans la rue en bras de chemise ou en allant chercher dehors des bûches pour l'âtre. Je me suis mis à éternuer à 360 km/h. Je ne tenais plus sur mes jambes. Grosse fatigue. J'ai fini dans les vaps, incapable de lire, tout juste bon à m'affaler devant la série Watchmen dont on ne comprend rien avant le très beau sixième épisode où tout s'explique progressivement jusqu'à l'ultime neuvième. C'est une histoire dystopique de fin du monde évitée grâce à un super-héros tout bleu venu de je ne sais quelle planète, c'est dire que ça vole haut. Elle a le mérite de s'appuyer sur le massacre de Tulsa en 1921, où des milliers d'américains blancs attaquèrent les habitants et les entreprises de la communauté afro-américaine de Greenwood plutôt prospère au point d'être appelée le Wall Street noir. Il fallut attendre 1996 pour qu'une commission soit nommée et en révèle l'ampleur en 2001. Elle est surtout très distrayante dans mon état, proche de l'Oklahoma. Il y a des jours où nous n'avons pas le choix que de retomber en enfance. Je ne suis pas allé jusqu'à enfiler la robe de chambre élimée en laine des Pyrénées de ma grand-mère à laquelle nous avions le droit les jours de fièvre et que j'ai rangée à la cave. Une chose est certaine, je n'étais plus moi. J'avançais au ralenti, répondais évasivement aux questions de ma compagne, mangeais sans réel appétit, je me traînais.
J'avais pris de l'alium cepa, homéopathie très efficace si on laisse fondre sous la langue trois granules cinq fois par jour, à condition de le faire suffisamment tôt. Le soir j'ai consenti à introduire dans mes narines un médicament dont la date de péremption remontait à 2013. Une amie médecin m'avait assuré qu'il n'y a aucun danger à utiliser des médicaments dépassés, sauf les antibiotiques. Au pire les effets sont considérablement atténués. À mes souhaits ! J'ignore si des germes ont pu survivre comme l'indique le mode d'emploi, mais peut-on avoir la moindre confiance dans l'industrie pharmaceutique ? D'habitude je n'infiltre dans mon corps que le minimum de leur production, sauf les médicaments magiques qui ont probablement autant d'effets secondaires pernicieux que de qualités thérapeutiques. D'ailleurs lorsqu'on lit leurs modes d'emploi, les mises en garde qui les prémunissent contre toute attaque en justice énumèrent tant de catastrophes qu'il est étonnant que les usagers y aient recours. Leur liste rendrait hypocondriaque le plus zen d'entre nous. Nous sommes si désemparés devant la maladie que nous nous en remettons aux médicaments et aux praticiens de manière quasi mystique. Il n'y a pas loin avec la série télévisée que je regardais. Le lendemain matin, après avoir bien dormi, j'allais déjà beaucoup mieux, sans savoir si le vaporisateur y était pour quoi que ce soit. J'ai chauffé l'eau à 70° et je me suis fait un thé vert. J'ai étalé du miel sur mes tartines et je me suis mis à écrire.
Cette discipline quotidienne m'a rappelé le rêve angoissant qui m'avait réveillé. Ayant oublié mon téléphone portable à la maison alors que j'avais rendez-vous chez le dentiste, je ne me souvenais d'aucun numéro, pas même le mien. Cette perte de mémoire allait jusqu'à perturber mon sens de l'orientation. L'heure tournait. Impossible d'appeler qui que ce soit pour prévenir de mon retard. J'avais beau emprunter un appareil à une connaissance en haut de la rue du Chemin Vert, mes doigts n'arrivaient pas à taper dix chiffres de suite qui se tiennent. Mon réveil réussit à peine à réparer mes lacunes. Quand je pense que je pouvais retrouver des dizaines de numéros de téléphone avant d'en confier le soin à une machine ! J'ai donc décidé de recopier les principaux sur un petit carton que je glisserai dans mon porte-feuilles. Comme quoi, il aura fallu une petite fièvre, un justicier bleu électrique et une nuit réparatrice pour me montrer le toboggan sur lequel je glisse inexorablement. Et pour cela, il n'existe aucune pilule, aucun magicien tombé du ciel. Je ne peux m'en remettre qu'à la discipline de mes exercices quotidiens, en espérant que la mémoire que j'alimente régulièrement ici ne disparaisse pas un de ces jours sous les coups de ce qu'on nomme abusivement le progrès.

lundi 2 décembre 2019

Jachère


Toutes ces dernières années je partais au moins un mois dans un endroit où il n'y avait ni Internet ni téléphone. Cela me faisait des vacances de ne plus pouvoir écrire quotidiennement. Je mettrais bien le blog en jachère, mais les tentations sont nombreuses et les évènements se précipitent. Quand arrive l'hiver je rêve de l'autre hémisphère, soleil et mer turquoise. Au lieu de cela je travaille à mon nouvel album qui me donne du fil à retordre. Ce n'est pas tout à fait vrai. Je ne m'y mets que lorsque vient l'inspiration et j'ai déjà bien avancé. L'après-midi j'aurais plutôt tendance à m'allonger avec un bouquin. À la place du soleil je gobe deux gouttes de vitamines D3 chaque matin, suivies de quinze de pépins de pamplemousse pour éviter le rhume. Avec l'huile essentielle de gaulthérie couchée pour le dos (elle porte bien son adjectif), c'est à peu près tout ce que je consomme, si je ne compte pas les exactions gastronomiques. Je suis passé chez Izraël me réapprovisionner en poivre sanshô (plus effervescent que le séchouanais), du vadouvan et quelques autres condiments. De retour à la maison, j'admire le jardin en rêvant de tropiques. Je ferme les yeux en pensant à des îles. Ne s'entendent que le ronronnement des chats, le bruit des croquettes sous leurs quenottes, la turbine du réfrigérateur, les gouttes de pluie explosant sur les vitres, et la musique de temps en temps. Mais ces dernières semaines peu de nouveaux disques trouvent grâce à mes oreilles. J'ai envoyé quelques bouteilles à la mer, mais les réponses à mes propositions de performances audiovisuelles ne se bousculent pas au portillon. Rappeler les organisateurs est vraiment trop humiliant. J'attends que le téléphone sonne. De temps en temps j'inscris tout de même une date sur le calendrier et je recommence à rêver. On me qualifie le plus souvent d'hyperactif, moi qui ai l'impression de ne pas faire grand chose ! Enfant puis adolescent, ma mère me demandait ce que je fabriquais les coudes sur mon bureau. Je répondais : "je rêve". J'y retourne. Ce billet est une vacance. Demain je rempile !