70 Perso - janvier 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mercredi 27 janvier 2021

Mon blog m'épargnerait-il une bonne psychanalyse ?


La question se pose d'autant plus aujourd'hui que ma situation personnelle est, sous certains aspects, moins confortable, et surtout si l'on considère les effets secondaires catastrophiques qu'engendre la gestion épouvantable de la crise dite sanitaire. Autour de moi, des gosses de 14 ans font des tentatives de suicide, des étudiants ne mangent plus qu'un repas par jour, des camarades vacillent sur leur base à n'y comprendre plus rien. Comme d'habitude, seul/e/s les plus politisé/e/s perçoivent les enjeux sociaux, le capitalisme rebattant les cartes comme il le fit avec la guerre de 14, la crise de 29, etc., en se refaisant une santé sur le dos des plus petits et des plus pauvres. Même les costauds sont fragilisés par l'absurde et l'absence de perspectives identifiables alors que la majorité est anesthésiée. La manipulation est planétaire, et aussi vicieuse que viciée.
D'un autre côté, si je me retourne vers les treize années qui me séparent de cet article, il me semble aller beaucoup mieux, tant physiquement que moralement, et que mes proches profitent généralement de ces résolutions progressives. Il reste du travail, mais n'est-ce pas ce qu'on appelle vivre ?

Article du 24 décembre 2007

Rédiger un blog m'épargnerait-il une bonne psychanalyse ? C'est ce que semblent insinuer quelques amis narquois à la lecture de mes billets "perso". Si les découvertes de Sigmund Freud ont éclairé ma vie, si la voix de Jacques Lacan m'a laissé entrevoir des champs inespérés, j'ai toujours ressenti quelque méfiance vis à vis de la pratique analytique. Comme me le faisaient remarquer Jean-André Fieschi et Catherine Clément lorsque j'avais vingt ans, on n'y va pas par curiosité, mais lorsque la souffrance est trop grande. La sienne ou celle que l'on inflige aux autres ? Embrassant d'un vaste regard les usages, je cherche les directions qui nous permettraient de résorber nos angoisses et d'avancer sur le long chemin de l'existence.
Nos parents considéraient souvent la psychanalyse comme une vaste supercherie. Il est évident que jusqu'au début du XXème siècle comme encore aujourd'hui dans la majorité des coins du monde ou ailleurs que dans la bourgeoisie, il existe d'autres solutions. La confession, par exemple, avec son secret, ressemble bigrement au rituel psychanalytique, n'en déplaise aux spécialistes qui ont toujours vu d'un mauvais œil la comparaison ! Parler soulage les tourments de l'âme. L'option la plus douloureuse semble être de tout garder pour soi, refoulant les démons qui nous habitent. Accumulant les cadavres dans le placard, l'adage "pour être heureux vivons caché" fait des ravages. La rétention se repaît des doutes, des suppositions, des rancœurs et des regrets. Il faut que cela sorte.
Si la psychanalyse en a soulagé plus d'un et plus d'une, ses longs rituels durant des années à raison d'une ou deux séances par semaine me donnent l'image d'une nouvelle mystique. D'autant que ses adeptes ont le prosélytisme facile. Si la cure réussit à certain(e)s, d'autres rament ou la vivent de façon catastrophique. Lorsque je pose la question de l'échéance et qu'une amie me répond, amusée, qu'elle ne se terminera probablement jamais alors qu'elle en est déjà au moins à quinze ans, j'ai des frissons dans le dos. À une époque où j'aurais pu en ressentir le besoin, la dépendance qu'elle demande m'en a dissuadé. Je ne peux accepter d'être tributaire de contraintes extérieures dont je ne comprendrais pas les tenants et aboutissants. J'ai soigné mon hernie discale en faisant de la gymnastique matin et soir à la maison, mais je n'ai jamais réussi à tenir plus de six mois si la discipline m'était imposée par des tiers et n'était pas modulable. Les psychanalystes sont bien complaisants avec les différents rituels qu'ils installent, en particulier celui de l'argent. Je n'ai d'ailleurs hélas jamais constaté que cela règle les conflits économiques intérieurs chez les adeptes du divan. Il existe d'autres pratiques addictives et d'autres contraintes, mais je ne vais pas régler le sort de la psychanalyse en quelques lignes. Dommage.
Les artistes hésitent souvent à entrer en analyse par crainte de saccager le terreau sur lequel ils ont bâti leur œuvre. C'est probablement un prétexte, mais il est certain que l'acte de création est une manière habile et jouissive de tordre le cou à ses angoisses en les canalisant en une forme productive. Dans nombreux cercles analytiques, l'art fait même figure de panacée universelle, une sorte d'épanouissement de l'individu qui mettrait un terme à sa quête. Il incarne parfaitement la réponse à une souffrance. Lorsqu'il revêt la forme abstraite de la peinture ou de la musique, il permet la pirouette sans trop se mouiller. Les formes plus explicitement narratives sont plus violentes et demandent plus de courage. Mais celle ou celui qui s'y adonne a-t-il (atèle !) le choix ?
Rédiger son journal anthume et extime au jour le jour montre une impudeur dont le narrateur se moque. S'il peut s'y promener nu, le problème retombe sur ses proches qui n'ont certainement pas envie de retrouver leur intimité exhibée aux yeux de tous. La fiction a le privilège de l'anonymat de ses acteurs, mais le "point de vue documenté" révèle les protagonistes sous un angle qu'ils n'ont pas choisi et qu'ils ont même souvent évité. On verra ainsi fleurir les interdictions et les censures. Cela se comprend. Les points de vue divergent. Je fais un a-parte pour signaler aux adeptes des jeux de mots et labsus que le poète en fait ses choux gras et que c'est souvent en connaissance de cause qu'il glisse ici et là quelque mot d'esprit spécifique à son art. Le sexe, la mort et l'argent sont toujours aussi populaires ; ils font marcher le monde. D'aucuns me répondent que l'analyse s'exerce sous couvert de l'anonymat contrairement à l'autobiographie. À relire les écrits de maint psychanalyste, j'ai des doutes, à commencer par Freud lui-même...
Alors ? Peu importe la manière si chacune ou chacun trouve comment soulager sa peine sans trop emmerder ses congénères. Exhibitionnisme intellectuel, confession religieuse, démarche psychanalytique, création artistique, méditation transcendantale, rites animistes, introspection, aide des potes ou ce qu'on voudra, pourvu que cela sorte et que l'on se sente soulagé du poids qui nous étouffe et nous empêche d'avancer. L'épanouissement emprunte souvent des chemins originaux que les amis ne pourraient soupçonner. Êtes-vous heureux ?

dimanche 24 janvier 2021

Apparition


Incroyable, c'est la première fois que je me retrouve sur une photo du Festival d'Amougies en 1969. Sur la dernière de l'article de la Voix du Nord du 14 août 2019, je suis en train d'enregistrer Mouna à côté de mon pote Jean-Pierre Laplanche. Je porte un manteau de fourrure en crylor et un collier gnaoua, une main sur le micro, l'autre dans la poche ! Mes enregistrements ont fait le tour du monde (pourris parce que réalisés avec le petit magnéto Grundig de ma sœur en 4,75 cm/s, mais ces Amougies Tapes sont devenues culte) : Frank Zappa faisant le boeuf avec Pink Floyd, avec Captain Beefheart, avec Ainsley Dunbar Retaliation, avec les Blossom Toes, avec Caravan, avec Sam Apple Pie... Plus l'intégralité des concerts de Soft Machine, Ten Years After, Nice, Yes, etc.


Il y a deux ans, j'avais déjà retrouvé une photo de ma pomme quelques mois plus tard chez Maxim's avec George Harrison et les dévôts de Krishna (que j'avais accompagnés à l'harmonium) et un autre copain, Michel Polizzi ! C'est chaque fois une découverte, car j'ignorais que quelqu'un en avait prises. Peut-être un jour découvrirai-je celles de cette époque avec Frank Zappa, Soft Machine, Kevin Ayers, Eric Clapton, Sun Ra...
En réfléchissant à la photo d'Amougies, je suis ému parce que c'est la première où l'on me voit enregistrer. Et puis je constate à quoi je ressemblais alors que j'allais bientôt avoir 17 ans, la longueur encore "raisonnable" de mes cheveux, comment je m'habillais, la parka verte de Jean-Pierre...
Avec la conjoncture actuelle, on peut se demander parfois si l'on n'a pas rêvé !

lundi 11 janvier 2021

In my solitude


Pourquoi la solitude me rend-elle triste? Être seul de longues semaines ne me pose aucun problème lorsque c'est provisoire. Seule la durée sans échéance m'est insupportable. C'est un peu ce que vit plus ou moins tout le monde en ce moment avec la gestion calamiteuse de la crise dite sanitaire. Sans perspectives nous perdons pied. La date d'un retour à la vie est sans cesse repoussée. En ce qui me concerne, la situation pourrait se renverser d'un claquement de doigts, si nous avions le droit et la possibilité de faire des rencontres. Ce n'est qu'une question de patience. J'essaie de comprendre le vague à l'âme qui m'étreint lorsque vient la nuit ou avant l'aube, puisque je dors si peu. Serait-ce le souvenir des colonies de vacances où je m'ennuyais à mourir, me sentant différent des autres enfants, par mes origines culturelles et une maturité relative qui leur faisait cruellement défaut ? Volontariste, comme je le suis resté, je faisais avec, mais je comptais les jours où je retrouverais mes parents. J'ai l'impression d'être dans une colonie pénitentiaire sans date de retour à la normale, et mes parents, d'où ils sont, ne risquent pas de venir me chercher... Et comme ce serait les pieds devant, je n'y tiens pas ! Il faut bien l'humour de Kafka pour tenir le coup. Car l'état normal, pour moi, c'est partager. Je continue à faire une cuisine recherchée, à écouter de la musique, regarder des films le soir, mais c'est beaucoup moins drôle de le faire seulement pour soi. De nombreux amis passent en journée, j'ai de la chance, et puis les voisins sont adorables, mais ce ne sont que des fenêtres quand je voudrais vivre en plein air.


Dans la journée je n'ai pas le temps de déprimer. D'ailleurs, la dépression n'est pas mon fort. Temps perdu à ignorer la loi des cycles, comme le font, par exemple, les suicidés. Il paraît que cette tendance grandit dramatiquement avec la durée du confinement et les lois assassines. Dès le début j'avais écrit que les effets de bord seraient bien plus meurtriers que le virus. Néanmoins, nous avons beau être costauds, nous sommes tous et toutes affectés par la bascule que nous impose le capitalisme, incapable de gérer correctement l'épidémie. Au contraire il s'en repaît. Les réactions de chacun, chacune, sont inattendues. Certains, pétrifiés par la peur prennent leurs distances et se renferment. D'autres ne veulent plus rien savoir et obéissent, ou n'en font qu'à leur tête. Les spéculations vont bon train. De quelle manipulation serions-nous les victimes ? Il n'y a que l'embarras du choix entre les Chinois, les vaccins, la destruction systématique de l'économie, l'eugénisme, etc. L'incompétence se marie avec l'utilisation odieuse de la crise par notre gouvernement qui en profite pour faire voter des lois iniques et liberticides que presque personne n'ose contrer en l'état. Cela se paiera plus tard...
Dans la journée je travaille avec Nicolas Chedmail sur un disque de rock déjanté qui m'emballe. Je range, je jette, je répare, je m'entraîne, musique, gymnastique, lecture, hospitalité, marche, courses, écriture, communication (ont tout de même été publiés mes CD Perspectives du XXIIe siècle pendant le premier confinement et Pique-nique au labo juste avant le second !), etc. Le premier est une dystopie prémonitoire, le second laisse espérer que la vie est possible, ensemble. Le projet de disque sur la ville de Victoria en Transylvanie est évidemment retardé, d'autant que j'ai besoin d'avoir une vue d'ensemble du livre de Dana Diminescu avant de m'attaquer à la partition symphonique. Je fourbis mes armes et prends des contacts avec des musiciens/ciennes...
Mais le fond de l'air est triste, dans ma solitude, vous me hantez avec des rêves d'autrefois, vous me narguez avec des souvenirs qui ne mourront jamais ; je m'assois sur ma chaise, sentiment de désespoir, la morosité partout, renvoyez-moi l'amour... Dans ma solitude, je fais des rêves d'avenir, des souvenirs qui n'existent pas encore, je m'allonge sur mon lit, sans jamais perdre l'espoir...

Illustration : Edward & Nancy Kienholz, Useful Art No. 3 (table & chairs), 1992