70 Perso - octobre 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 24 octobre 2021

Des ânes morts


Depuis mercredi je n'arrête pas de bricoler. En fait je n'arrive pas à travailler lorsque la maison est en travaux. C'est comme les jours où je fais des courses ou de l'administration. C'est mort question musique. Je suis donc pressé d'en finir, je ne m'arrête pas d'un si bon pas... Les derniers emménagements réalisés, j'ai demandé à Caroline, qui a toujours de bonnes idées, de m'aider à redresser l'arbre qui barrait l'entrée du portail. Elle a entouré l'un des deux énormes piliers avec une sangle à cliquet et j'ai poussé comme un malade. Le parasol de feuilles qui dépassent sur la rue en ayant profité pour s'affaisser, j'ai dû jouer du sécateur pour que les passants n'aient pas à se tordre le cou... Ranger la cave me semble une tâche sans fin. Je m'y remets jour après jour... Après quelques bricoles électriques j'ai décidé d'accrocher le lourd miroir dans l'escalier qui monte au second. Équilibre sur la grande échelle. Marius est heureusement venu me prêter main forte pour soulever le cadre qui pèse un âne mort. Cela m'a fait irrémé"diablement" penser à Un chien andalou. Ça c'est du piano préparé où je ne m'y connais pas !


Je me laisse distraire par le cinématographe, surtout s'il est accompagné de Wagner, Tristan et Iseult, et d'un tango argentin. C'est toujours en montant que je rate une marche. J'y suis allé de la perceuse. Il ne faudrait pas que le miroir se casse la figure. Ainsi on voit bien l'ange qu'Ella et Pitr ont collé là en 2012. Lui tombe de mieux en mieux. Le syndrome du week-end me rattraperait-il ? J'en vois de toutes les couleurs...

lundi 18 octobre 2021

Grand-Papa


Ayant souvent évoqué mon grand-père paternel, Gaston, disparu à Auschwitz, j'ai négligé ici Grand-Papa décédé à 77 ans lorsque j'en avais 21. Grand-Maman était partie huit ans plus tôt. Ils étaient nés tous deux à la fin du XIXe siècle et ma mère était la seconde de leurs trois filles. Tous les jeudis ma grand-mère me gardait avec mon cousin Serge, qui, quatre ans plus âgé que moi, se souvient de quantité de détails qui m'ont échappé. Grand-Papa était représentant en toiles de bâche pour les Établissements Jeanson à Armentières, il avait, entre autres, comme client Trigano dont le slogan au lancement du Club Méditerranée était "Le camping, c'est Trigano". Il aurait préféré faire une carrière militaire, mais sa famille l'en empêcha. Je me souviens qu'il avait connu Erik Satie et Max Jacob, mais je ne sais plus dans quelles circonstances. Grand-Papa avait la nostalgie de l'armée. Il racontait souvent comment il avait sauvé ses hommes dans les tranchées avec un petit coup de gnôle, la technique du tir au canon de 75 et au mortier, ou que sa jument s'appelait Arlette, prénom qu'il donna ensuite à son aînée ! J'aimais bien mon grand-père que mon père, son gendre, appelait Papa, peut-être pour avoir perdu le sien... C'était un homme gentil, un peu réservé, qui semblait vivre dans un autre monde. Comme à la fin de sa vie il conduisait pied au plancher jusqu'à couler une bielle, aucun de nous n'avait envie de l'accompagner, mais il en fallait toujours un qui se sacrifie. Les jours où c'est tombé sur moi, je n'en menais pas large. À la sortie du garage où il avait conduit sa 403 après un accident, il pouvait très bien emplafonner un autre véhicule et faire demi-tour aussi sec ! Écolier, puis lycéen, j'ai souvent fait des exposés sur Verdun où il avait été blessé et prisonnier en 1916 alors qu'il était officier aspirant ; j'emportais sa citation pour l'occasion, un casque de poilu et quelques médailles dont sa Légion d'Honneur. Grand-Papa la portait d'ailleurs à la boutonnière, une rosette rouge. Il avait participé aux deux guerres, été fait prisonnier à nouveau en juin 1940 dans le Cotentin, rapatrié comme chargé de famille avant de devenir chef du ravitaillement pour le Cantal, d'abord dans la Résistance (commandant dans les FFI), puis à la Libération. En fouillant dans les archives, mon cousin a trouvé une photo du Lieutenant Roland Bloch au 24ième Régiment d'Infanterie, qu'il pense avoir été prise entre 1924 et 1935. À l'époque les officiers étaient à cheval. On appréciera la longueur du sabre. Officier de réserve, il se tournera plus tard vers la Protection Civile. Il m'emmena chaque année revoir le Tombeau de Napoléon aux Invalides qui étaient proches de leur appartement de l'avenue Constant-Coquelin et à la Parade de la Garde Républicaine. Ce défilé de soldats en costumes à travers les siècles se terminait par les acrobaties de l'escadron motocycliste. Depuis, je n'ai jamais pu prendre vraiment au sérieux un motard de la police, me rappelant les figures incroyables qu'ils réalisaient debout sur leurs marche-pied. Quant à l'armée, j'ai préféré me faire réformer P5 plutôt que de perdre un an à jouer à la guerre. Il faut dire qu'à l'époque j'étais plutôt "Peace & Love" et qu'en 1975, sursitaire, je travaillais déjà comme compositeur dans le monde de l'audiovisuel. Je ne possède presque aucun objet lui ayant appartenu. Ma jeune tante, qui vécut avec lui jusqu'à la fin de sa vie, s'est débarrassée de tant de souvenirs de famille qui auraient pu nous intéresser. Dont le piano, un crapaud qui trônait dans un coin du salon ! Quelques pipes dorment au fond d'un de mes tiroirs. Deux plateaux marocains en cuivre au grenier et deux vases réalisés à partir de culots d'obus. Je crois que c'est tout. De ma grand-mère, une sculpture représentant deux petits singes que j'aime énormément, un vase en verre vert Modern Style et quelques partitions. La dernière semaine de sa vie, comme le personnel hospitalier exhortait mon grand-père à se nourrir, il répondit qu'il ne comprenait pas pourquoi on l'ennuyait alors qu'il avait déjeuné le midi-même d'un homard à la crème au restaurant de la Tour Eiffel. Belle manière de tirer sa révérence !

jeudi 7 octobre 2021

Rasoir


Ce matin j'ai noté que je commençais toujours par me raser la moustache, puis sous la lèvre avant d'attaquer les joues et le cou, comme si je craignais une coupure d'électricité qui me laisse à moitié piquant. Qu'on me comprenne, c'est autour de la bouche que les poils se voient le plus, et les blancs sont vraiment visibles sur le menton. Le style mal rasé me déprime en ce qui me concerne. Imaginerais-je qu'un baiser cannibale irrite ma partenaire ? Les joues, un peu comme le crâne, sont même agréables à caresser après le coup de tondeuse à sept millimètres. Souvent je me termine au rasoir à main, pour les pattes et les poils récalcitrants de la gorge qui se la jouent solo. Je tiens de mon père l'appareil électrique. La mousse n'est pas mon truc.
Ces constatations m'ont amené à interroger mon absence de procrastination tous azimuts, pratique dont je n'ai pu trouver d'antonyme. Pourquoi me sens-je obligé d'effectuer les tâches au fur et à mesure qu'elles se présentent ? Comme si je risquais d'oublier d'exécuter toute action si je ne la réalisais pas dans l'instant. C'est probablement un peu le cas. Je réponds du tac au tac, à une question, un mail, un coup de fil, même si je suis concentré sur autre chose, quitte à reprendre le cours de mon histoire dès que je me suis acquitté de mon devoir. Devoir ou pouvoir ? Là est bien la question. Lorsqu'une idée se présente à moi, il faut que je la mette en pratique aussitôt, même si l'heure est indue. Pire, je pense et rumine le problème tant que je n'ai pas trouvé la solution alors que cela pourrait très bien attendre. Depuis quelque temps, j'essaie de me calmer, pratiquant la pleine conscience... Quand j'y pense ! Mais c'est un travail souvent plus pénible que de relever mes manches, qu'elles soient de chemise ou de cerveau.
Entre nous, il ne m'est pas difficile d'identifier mon inquiétude constitutive. Mes parents partaient au théâtre en me laissant seul lorsque j'avais trois semaines, et à trois ans je gardais ma petite sœur de six mois. Comme je les prenais pour des inconscients, je faisais semblant de dormir, j'attendais le départ de l'ascenseur et j'allais vérifier qu'ils avaient bien fermé le verrou et le gaz. À cinq et trois ans nous avons pris le train seuls jusqu'à Grenoble, et dès onze ans je parcourais le monde sans personne pour me tenir la main. Le point culminant de cette éducation raisonnée fut notre voyage de trois mois en solitaires que j'ai conté dans le roman USA 1968 deux enfants. Mon père fit de moi un être responsable, ce qui me fut très utile toute ma vie, mais également un inquiet notoire ! Récemment j'ai mis sur le compte de l'hyperthyroïdie le fait de démonter l'armoire à glace à quatre heures du matin et j'espère que le réglage du Lévothyrox va calmer le jeu.
Ainsi je prévois tous les emmerdements largement à l'avance et si tout se passe mieux que prévu j'en suis ravi. Cette philosophie m'évita nombreux déboires et déceptions, et m'apporta énormément de joies rassurantes. Ce n'est évidemment pas de tout repos pour celles et ceux qui m'entourent, mais seulement les plus proches en sont ennuyés. Les autres ne s'aperçoivent de rien puisque tout glisse comme sur des roulettes. Mon passage aux Louveteaux (Éclaireurs De France laïques), mon travail d'assistant au cinéma ou de chef d'orchestre de projets musicaux et extra-musicaux ne s'en trouvèrent que mieux ! Je règle donc mes factures aussitôt qu'elles se présentent, mon garde-manger propose un choix extraordinaire et ma maison est un outil des plus confortables. Il n'empêche qu'un soupçon de folie m'assaille, même si je l'accueille avec l'humour qui convient.