70 Voyage - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mardi 5 mars 2024

Escale gastronomique


Certaines rues du Bairro Alto sont très animées, mais heureusement la Rua Vale est calme. Les couleurs des façades me ravissent. Par contre j'avais du mal à trouver de bons restaurants à proximité. C'est une obsession lorsque je voyage. La Churrasqueira da Paz est un petit restaurant de quartier où manger de délicieux poissons grillés. Même chose avec le Zapata, restaurant "ouvrier" où j'ai trouvé des plats portugais typiques. Plus chic et raffiné le Frade dos Mares pour le soir. J'ai l'habitude de faire des courses à Prim'Land à Romainville, magasin des Portugais à Paris. Plus loin parce que ça monte, nous avons rencontré des amis au Decadente pour partager des petiscos inventifs (tapas), mais c'est du restaurant péruvien A Cevicheria dont nous gardons un souvenir inoubliable.


Je l'avais repéré, mais Éric et Juliette en ont rajouté une couche pour nous inciter à y aller. Nous avons partagé un ceviche de saumon et fruit du dragon accompagné de tapioca, noix de coco, ananas et noix de cajou, et un ceviche de thon et foie gras accompagné de betterave, framboises, litchis et noisettes. Nous avons arrosé ces agapes d'un Pisco Sour et terminé avec un Porto Feuerheerd's de 20 ans, après m'être achevé avec un dessert de chocolat noir, piment aji amarillo et purée de banane, mousse de noisette et crumble de cacao. Après cela, il ne restait plus qu'à monter, monter, et, et, descendre et redescendre, avant de remonter les rues escarpées de Lisbonne tout en admirant les points de vue sur la ville...

lundi 4 mars 2024

Le Palais Fronteira et Lisbonne


Comme il est interdit de prendre des photos lors de la visite guidée du Palais Fronteira, entre autres parce que les descendants plus ou moins directs du premier marquis de Fronteira, D. João de Mascarenhas, y résident partiellement, je fais glisser les azulejos et la verdure dans mes yeux éblouis. La famille actuelle est constituée de quatre personnes, mais à l'époque ils étaient une vingtaine servis par quatre-vingt domestiques. L'endroit, relativement et étonnamment peu fréquenté, est un des musts à visiter lors d'un séjour à Lisbonne. Ailleurs les queues de touristes sont plutôt dissuasives.


Les salles visitables sont passionnantes avec leurs carreaux de faïence représentant des batailles contre les Espagnols. Dehors les thèmes sont plus variés, petits lapins farceurs et singes professant, signes du Zodiaque ou saisons, musiciens, etc. On appréciera l'humour de certaines scènes qu'il faut chercher soigneusement...


Nous avons retrouvé le style baroque joanin (« barroco joanino »), typique du Portugal, par exemple dans l'église Saint-Roch (Igreja de São Roque). L'or y dégouline. Les reliquaires m'ont rappelé l'exposition La mort n'en saura rien que Jean-Hubert Martin avait conçue avec Yves Le Fur en 1999 au Musée de la Porte Dorée, confrontant les reliques d'Europe et d'Océanie. Le titre provenait d'un vers du Guetteur mélancolique d'Apollinaire. Il faisait beau. Nous nous sommes promenés dans les jardins inspirés par ceux dits français.


Le Palais a été maintes fois rénové. Les plafonds en stuc ont été rajoutés. Des tapis persans. Des meubles rapportés de voyage. Le jardin n'échappe pas à ces strates du temps, comme une coupe archéologique d'un temps pas si lointain.


Le premier jour, nous nous étions promenés dans le charmant jardin botanique de l’université de Lisbonne. Le lendemain il pleuvait. Nous avons donc choisi de nous immerger dans l'Oceanorium pour y admirer requins et raies manta, méduses et calamars, loutres et pingouins... Mes préférés, les incroyables dragons de mer (phyllopteryx taeniolatus) qui se confondent aux algues...


Lorsqu'il fit meilleur, nous sommes allés déguster quelques pastéis de nata près de la Tour de Belem (une autre sorte de pâtisserie !), nous grimpâmes au Castelo de São Jorge et nous visitâmes la Fondation Calouste-Gulbenkian. Mais nous arpentions surtout les rues du Bairro Alto et du quartier d'Alfama. J'en rapportai de magnifiques gants en agneau de chez Luvaria Ulisses. Cela me changeait de mon incessante quête de restaurants typiques.

mardi 20 février 2024

Pause d'une semaine


Je n'emporte pas mon ordinateur, mais un carnet et un stylo, plus de quoi prendre des photos. Donc pas de blog d'ici le 28, mais vous aurez probablement droit à un compte-rendu à notre retour de Lisbonne. Il peut m'arriver d'envoyer une image sur FaceBook. Je ne sais pas. Ce n'est pas écologique de prendre l'avion, alors camarades conscients n'en rajoutez pas. Ces vacances sont salutaires, salvatrices, et, espérons, merveilleuses.
Mon dernier voyage au Portugal remonte à 1976, par là. Nous étions descendus à quatre en Algarve dans une petite voiture. Je ne me souviens plus de grand chose, sauf du tabouret dagobert qui, même plié, occupait tout l'espace intérieur. Il avait fallu traverser l'Espagne, débarrassée de Franco. Salazar l'avait précédé. Le passage d'un pays à l'autre avait été un choc. Là-bas c'était tout propre, style rideaux en dentelle. Cela fait si longtemps que j'ai envie de découvrir Lisbonne.
J'ai juste eu le temps de ranger le studio après le concert de dimanche avec Fanny au tuba et Maëlle à l'alto. Le mixage et la mise en ligne de cet Apéro Labo 2 attendront le retour. Ce fut un succès sans pareil. Le protocole tant convivial que créatif change radicalement la perception de la musique par les spectateurs. Je pense reprendre l'expérience en avril, car cela me prend tout de même une semaine d'organiser la séance et l'after, tout en étant frais et dispo pour improviser avec d'aussi formidables partenaires. Un petit indice avant de révéler l'album d'ici une quinzaine : nous nous sommes inspirés de pages du Codex Seraphinianus choisies par nos invités !

mardi 19 décembre 2023

Valse Brume


L'avenir est incertain. C'est ce qui le caractérise. Les accidents n'arrivent jamais d'où on les attend. Ce n'est pas le cas des miracles, qui parfois se font attendre. La brume se dissipe avec les premiers rayons de soleil. L'ère romantique se calquait sur les heures du jour. C'était rassurant. Tout dépendait tout de même où l'on plaçait la nuit. Avant ou après ? Avant, et après. C'est le propre des cycles, porteurs de tout ce qui vit. Up, down, un petit trot. Le son, la lumière, le sang, l'histoire, la vie, le ciel... Rien n'y échappe. Faut faire avec. C'est rassurant et ça fait peur. Tout dépend de la place du curseur. Si ça monte ou descend. La forme de l'onde peut nous être fatale. Colline ou falaise, la dégringolade ou la grimpette n'exigent pas les mêmes aptitudes. J'ai coupé l'onde en bas de ma photo pour simuler un tableau. Ou son évocation. Mets de l'huile, petit homme ! Les mots n'ont jamais qu'un sens. En les découpant, en bougeant la césure, en les déshabillant de leur costume trop bien taillé, des évidences jaillissent, or ce ne sont que des énigmes. Rien ne sert de les renverser, l'inconscient ignore les contraires. L'interprétation est bien la clef de notre réalité. Puisque la vérité on ne peut la dire, toute. Il m'arrive ainsi d'écrire pour ne rien dire. Ni pour occuper l'espace, ni pour n'avoir rien à dire, bien au contraire. La pudeur, le doute, la prudence, le secret, la surprise, la honte, cette peur, que sais-je ? Rien. That is the question. Alors on dit qui vivra verra ou l'on chante que sera sera. Il y autant de bonnes chansons que de fausses réponses. On prend comme ça vient, on donne comme on peut. On espère, l'on s'y perd. Laisse aller, c'est une valse. La curiosité recouvre les attentes d'un nuage de paillettes, une couche de givre qui rend magique le gel de la distance. Ça fondra un jour ou l'autre, puisqu'on s'en rapproche inéluctablement. Question d'heure, ou d'heures. Tout est possible, même l'impossible. C'est merveilleux et terrible à la fois parce qu'on y pense. C'est merveilleux ou terrible selon les fois parce que c'est ainsi que les hommes vivent. Je n'y comprendrai jamais rien, mais ce ne sera pas faute d'avoir essayé.

lundi 13 novembre 2023

Instrumentarium


J'ai tout oublié. Pas le moindre souvenir de ce voyage à Amsterdam en 1980 où je retrouvai ma sœur Agnès et son mari Philippe qui prit une série de photos de nous tandis que je faisais des courses le long des canaux. Mes lourdes cosses de haricots géants que l'on secoue comme des maracas viennent donc de là. Pour son émission sur France Culture, Thomas Baumgartner me demande comment j'ai acquis mes deux petits pianos Michelsonne. Je suis incapable de lui répondre. Probablement cadeaux d'amis se détachant de leur enfance.

J'ai trouvé ma grande sanza et l'inanga de Haute-Volta à Stockholm, quelques unes de mes flûtes en Sicile ou rue de la Huchette comme mes orgues à bouche, des percussions latines à Helsinki, les bendirs, le tara et le deff à Marrakech, des guimbardes en Italie, au Vietnam, au Cambodge, la trompe et le bol tibétains au Népal, l'erhu à Bangkok, et mes parents m'ont rapporté l'anklung de Bali, la valiha de Madagascar, la maravan de l'île Maurice ou le didgeridoo d'Australie. J'ai commandé un bâton de pluie plus grand que moi à une sud-américaine. Je regrette qu'André Bissonnet, dit le Boucher, ait fermé boutique rue du Pas de la Mule, il nous laissait essayer des instruments incroyables pendant des heures, nous les vendant à un prix dérisoire en comparaison de ce qu'il les aurait cédés à un collectionneur. Je lui dois, entre autres, mon cornet en mi bémol, un saxhorn, le mélophone de Francis, mais c'est à Hélène qu'il a vendu une clarinette à coulisse et, depuis, j'en cherche une partout pour mes zigues. Bernard a construit d'innombrables prototypes. J'ai commandé pas mal de trucs sur Internet. Etcetéra. S'il y en a tant dont l'origine s'est effacée de ma mémoire, j'espère retrouver ma voix, mais pas comme dans Le Lotus Bleu ! Je veux garder ma tête qui ces temps-ci s'est fait plusieurs fois la belle, et ne pas rester aphone. La crève a produit une éclipse vocale quasi totale. [Cela m'était donc déjà arrivé ! Cela aussi j'avais oublié...] Je murmure à peine et tape, et tape, et tape sur mon clavier.

Agnès pense qu'ils m'avaient rejoint chez Joep et Susan qui m'hébergeaient. En mars 1980 ils habitaient encore une maison étroite toute en hauteur du vieux quartier dans une rue perpendiculaire au canal. Je les avais rencontrés grâce à Sheridan, une amie de Marianne, qui plus tard ouvrirait l'un des premiers cafés de Ménilmontant. Aucune trace de nos hôtes sur les photos de Philippe. Absents, nous auraient-ils prêté leur logement ? Je passai beaucoup temps sur leur gros harmonium perché au dernier étage. Il avait probablement fallu le hisser par l'extérieur grâce à la poulie surplombant la façade. Abandon des pratiques religieuses aidant, on en trouvait alors facilement aux Pays Bas. J'ai longtemps rêvé en rapporter un, mais cela aurait pris une place folle dans le studio. Encore aujourd'hui j'hésite. À le regretter ou à toujours le désirer ? Chaque fois que je peux improviser dessus ou sur de grandes orgues le vertige me donne des ailes.

Article du 8 novembre 2011

dimanche 20 août 2023

California Dreamin'


Je venais de regarder Brian Wilson - Le génie empêché des Beach Boys réalisé par Christophe Conte. C'est toujours sympa de regarder un documentaire sur lui et son groupe, mais je connaissais le Making Pet Sounds de Martin R. Smith et Matthew Longfellow, Brian Wilson: I Just Wasn't Made for These Times de Don Was et évidemment l'excellent biopic Love & Mercy de Bill Pohlad. Arte.tv diffuse ce doc en accès libre comme beaucoup d'excellents programmes, telles les séries La maison von Kummerveldt, Un espion très recherché (Bez vědomí), Bron ou la version originale britannique de Utopia, ainsi que des tas de films de fiction et documentaires. Comme j'en parle à ma fille, elle me suggère de regarder The Mamas & the Papas - California Dreamin' réalisé par France Swimberge et diffusé sur la chaîne franco-allemande...
En dehors de l'intérêt pour le groupe, le film a l'avantage de resituer leur aventure dans l'époque, soit avant le Summer of Love lorsqu'ils chantaient du folk, en passant par les émeutes de Watts en 1965 et le Monterey Pop Festival en 67, jusqu'au massacre perpétué par la Charles Manson Family en 69, année qui sonnera le glas de l'euphorie avec également le festival d'Altamont montré par les frères Maysles et Charlotte Zwerin dans le formidable Gimme Shelter.
Est-ce parce que c'était il y a plus d'un demi-siècle et que ma mémoire fait défaut, ou parce qu'avec le temps je comprends seulement aujourd'hui l'influence considérable que mon voyage de trois mois aux États-Unis à l'été 68, seul avec ma petite sœur, eut sur moi qui n'avais que 15 ans ? J'ai souvent parlé de cette année-là, commencée avec les Évènements de Mai auxquels je participai activement, comme du passage du noir et blanc à la couleur. Pourquoi certaines images me font venir les larmes ? Les hippies chez qui je vivais à San Francisco m'avaient fait fumer mes premiers joints et bientôt je testerai le LSD, premier trip en Technicolor. Leur père était le médecin des Black Panthers, leur mère d'origine japonaise avait été internée dans un camp aux USA avec toute sa famille pendant la Seconde Guerre Mondiale. Leur grande voiture décollait du sol à chaque intersection comme dans Bullitt, le Grateful Dead jouait au Fillmore West, je n'en croyais ni mes yeux ni mes oreilles, ou peut-être au contraire je vivais à fond ce voyage initiatique fabuleux qui m'avait fait traverser le pays d'est en ouest et du nord au sud, comme si tout coulait de source. J'étais Peace & Love depuis si longtemps. Je le suis probablement resté, une des clefs de ce que je suis devenu. C'est aussi au cours de ce voyage que j'ai décidé de faire de la musique grâce à Frank Zappa que je retrouverai en France à mon retour.


Si j'ai raconté cette incroyable saga dans mon roman augmenté USA 1968 deux enfants, je n'avais pas entrevu toutes les répercutions que ce voyage aurait sur moi ensuite. Écrit en 2012 exclusivement pour iPad parce qu'il intègre des photographies, des films, des passages sonores et musicaux, une œuvre interactive et des animations graphiques, je pense le mettre à jour lors d'une prochaine réédition, cette fois en papier, actuellement en cours de négociation. Le choix de diffusion des médias audiovisuels faisant intimement partie du récit est encore à l'étude. Je me rends compte de la chance inestimable qui fut la mienne de traverser les États-Unis en 1968 et de vivre autant d'aventures improbables alors que les voyages outre-atlantique n'étaient pas courants. J'emboîtai le pas à cette époque hyper créative et ne m'en départis jamais.
Pour la petite histoire, j'étais amoureux de Michelle Phillips, l'autre chanteuse avec Cass Elliot des Mamas & The Papas, et plus tard je chantai Michelle ma belle à la mère de ma fille qui portait ce prénom ! Est-ce un hasard, si je me dis qu'auparavant j'en avais aimé d'autres qui portait le prénom de ma mère ? Ou, fasciné enfant par Lauren Bacall, j'avais tout de même rencontrée une Lorraine, bien que trop jeune pour qu'il se passât quoi que ce soit... On pense se réinventer, mais le passé imprime des émotions qui nous échappent et dirigent nos pas. Heureusement, je n'ai pas perdu mon goût pour les surprises !

mercredi 16 août 2023

Dialectique du temps qui passe


J'avais l'habitude de changer de latitude au milieu de l'hiver, histoire d'enrayer la monotonie engendrée par le froid. Décembre ou janvier étaient les mois idéaux pour nous envoler vers les Antilles ou l'Asie. Les bouleversements matrimoniaux, le confinement et l'empreinte carbone des voyages en avion ont bouleversé ce bel équilibre. En outre et en août il était astucieux de rester à Paris pour profiter de la capitale désertée et éviter les afflux touristiques des régions ensoleillées. C'était sans compter les variations météorologiques qui nous font penser que l'automne est précoce cette année. Lorsqu'on possède un jardin la pluie n'est pas subie, mais la température et le ciel gris finissent par taper sur le système. Jouer les grands-pères de garde au Maroc fin juin ou descendre une semaine vers le sud chez mon amie Pascale furent des escapades salutaires. Le sauna au fond du jardin peut donner toute l'année l'illusion de l'été, mais il ne remplace pas l'excès de chaleur, quand on rêve à une brise rafraîchissante ou qu'on aimerait pouvoir faire autre chose que la sieste après le déjeuner ! Quitte à ne pas être content de ce qu'on a, autant changer de disque et maudire le changement climatique dans ses variations tous azimuts. Plonger dans la piscine d'autres amies ressemblait alors à un rêve fugace alors que le soleil se couchait sur les oliviers. J'adore autant partir que revenir. Casser le rythme est une de mes activités favorites, que ce soit en musique, ou dans la vie quotidienne. La dialectique s'impose dans tous les domaines. Comme chaque fois je suis heureux de retrouver mes pénates. De toute manière je fus incapable de m'arrêter de travailler. J'aime trop écrire, faire du bruit, arrêter des images, raconter des histoires, vivre l'imprévu...

vendredi 11 août 2023

Que sera sera


L’été retrouvé après deux mois d’octobre à Paris… Impression d’exotisme… Les cigales en stéréo… Bientôt la mer, même si le mistral l’a bigrement refroidie… Une semaine en vacances, comme si cela existait pour moi qui, travailleur acharné, l’ai toujours été… Être et avoir l’été !

mercredi 26 juillet 2023

White Sands


Rien n'est plus aveuglant que le gypse blanc sous un soleil brûlant. Tout est blanc, trop blanc, troublant. Nos yeux se plissent pour laisser passer le minimum de lumière par leurs fentes, tout en admirant l'extraordinaire paysage de dunes des White Sands, un désert de sable fin où rien ne pousse. La terre, chauffée à blanc, brille de tous ses feux. Nous ne voyons plus aucun yucca, aucun agave, aucun cactus, même s'il paraît qu'il en pousse parfois. La plupart des animaux sauvages ne s'y risquent à sortir qu'à la nuit. J'imagine pourtant Vil Coyote courser Bip Bip en éclaboussant de gypse l'air qui vibre de chaleur. Nous gambadons allègrement. Les grains glissent sous nos pas comme si nous étions pris dans le flot d’un sablier. Pas loin s'étendent les terrains militaires où sont testés les armes atomiques. Un parfum de fin du monde flotte sur cet endroit surexposé. Presque toutes mes diapos se révèleront blanches, transparentes, avec nos corps d'extraterrestres irradiés comme si nous nous évaporions.

(extrait de mon roman USA 1968 deux enfants / sur la photo ma sœur Agnès et moi, 13 et 15 ans cet été-là)

jeudi 13 juillet 2023

Maroc (6) Le retour


J'enregistre des ambiances que j'intégrerai peut-être dans quelques œuvres musicales. Je prends des photos. La fenêtre grise est le reflet d'une terrasse de café en bas dans la rue. La climatisation et la parabole sont des classiques. Les publicités avec des images de femmes occidentalisées tranchent avec la réalité voilée. Le Maroc fait sans cesse le grand écart. Richesse de la classe dirigeante et pauvreté de la population, la médina figée dans ses coutumes et la ville nouvelle dans son attirance pour la société de consommation, les femmes voilées et les hommes libres d'aller où ils veulent, etc.


J'ai anticipé le départ de Tétouan pour Tanger qui est un peu moins religieuse, donc moins sujette à fermeture pendant l'Aïd, mais c'est très relatif. La piscine de l'hôtel nous sauve, mon petit-fils y passant ses journées avec ses brassards. Coquin, il est ravi que le maître-nageur soit parti passer les fêtes avec sa famille, lui permettant ainsi de nager dans le grand bain habituellement interdit aux enfants...


Toute l'équipe avait profité d'une fin de journée pour aller nous baigner sur la plage de M'diq avant de rejoindre Tanger. Cela me fait beaucoup de bien de vivre dans des pays dont je ne parle pas la langue. Comme je n'ai aucun mal à adopter les coutumes locales le changement de repères est salutaire. Je n'étais pas parti à l'étranger depuis le confinement qui avait annulé notre voyage au Japon. Et puis j'évite de prendre l'avion autant que possible, et même la voiture, privilégiant le train, le vélo et la marche à pied !

Voilà, j'ai regagné mes pénates où je pense passer le reste de l'été. Il risque de faire très chaud dans le sud et j'ai pas mal de travaux à boucler. Le CD Pique-nique au labo 3est parti en fabrication, il ne reste plus qu'à finaliser la pochette et le master du vinyle La preuve du groupe Poudingue, la réédition du vinyle In Fractured Silence (1982) est programmée également pour septembre, j'attends également plusieurs compilations et des livres auxquels j'ai participé, sans compter les nouveaux projets auxquels j'ai donné mon accord dont probablement quelques créations live ! Mais Par terre, enregistré mardi avec la trompettiste Emmanuelle Legros et le saxophoniste Matthieu Donarier, est déjà en ligne (on en parle demain, mais les impatients peuvent dores et déjà en profiter), et j'en enregistre un autre la semaine prochaine avec le violoncelliste Bruno Ducret et la bassiste Olivia Scemama... Entre le 20 juillet et le 4 septembre, par contre, c'est mystère et boule de gomme,ce qui ne m'empêche pas de rêver.

mercredi 12 juillet 2023

Maroc (5) Carnet de voyage


Eliott collectionne des souvenirs à coller dans son carnet de voyage. Je passe mes journées avec lui pendant que ses parents travaillent à leur nouveau spectacle, invités par l'Institut français. Au Maroc il n'est pas simple de trouver de quoi intéresser un gamin de cinq ans. Il marche heureusement de bon cœur et nous arpentons la médina de long en large... Le second jour le réceptionniste de l'hôtel m'indique une aire de jeu qui lui permettra de faire des cabrioles sur un trampoline. Sinon nous lisons des livres et il construit un requin ou un poulpe avec le Lego Creator.


Eliott apprend quelques mots d'arabe comme bonjour, merci, pardon, au revoir. Il apprécie moins que de vieilles dames ou des vieux messieurs veulent l'embrasser comme du bon pain. Ce n'est évidemment pas une coutume qu'il connaît. Ils ou elles l'attrapent pratiquement de force. C'est perturbant.


Sa maman lui a donné une pièce d'un dirham avec laquelle il joue en la lançant en l'air ou en faisant des tours de magie. S'il est sensible aux odeurs il ne saura pas les intégrer graphiquement à son récit. Nous trouvons le souk des tanneurs par hasard, caché derrière une porte cochère. Je lui aurais bien acheté une paire de babouches comme pour moi, mais il n'en veut à aucun prix. De temps en temps, à Chefchaouen ou Tanger, nous trouverons heureusement un endroit pour nous arrêter et boire un thé à la menthe.


Mais à Tétouan l'Aïd laisse les Marocains chez eux.
L'Aïd al-Adha (عيد الأضحى « la fête du sacrifice ») ou Aīd al-Kabīr (العيد الكبير « la grande fête »), grand aïd, est célébré le dixième jour de Dhou al Hijja, dernier mois du calendrier musulman, en commémoration du sacrifice d'Abraham, et coïncide avec le pèlerinage à La Mecque (cinquième pilier de l'islam). La tradition est de sacrifier un mouton lors de cette fête et de partager le repas avec la famille ou bien des personnes importantes.

mardi 11 juillet 2023

Maroc (4) Le Roi


Je suis réveillé à 6h30 du matin par des trompes et des tambours. Foule déterminée. On se serait crus dans un film de Costa-Gavras. Ce sont les premiers admirateurs du roi qui arrivent à la grande mosquée située en bas, probablement guidé par une sorte de préfet local en uniforme beige. Il n'y a que des hommes. La fenêtre de ma chambre en angle offre une vision panoramique sur la rue étroite qui mène à l'Institut Français, voisin du bâtiment religieux. Depuis quelques jours une cohorte d'ouvriers s'affaire à faire briller tout ce qui longe le parcours du monarque. Ils repeignent le moindre réverbère, les tuiles de la mosquée, les murs, les bandes blanches de la route. Les arbres sont taillés au carré comme si Edward aux mains d'argent avait été engagé parmi la foule des artisans. Des camions livrent même de nouvelles cuvettes de toilette. La ville se transforme en décor d'opérette, du moins le long du trajet qu'empruntera Mohammed VI.


Le roi possède des palais à Casablanca, Fès, Marrakech, Meknès, Agadir, Ifrane, Oujda, Rabat et Tétouan, ainsi que le château de Betz dans l'Oise. La richesse de la famille royale tranche avec la pauvreté de la population. Les notables de la ville sont en djellaba blanche. Il y a tant d'uniformes différents pour effectuer le service d'ordre que je ne peux reconnaître ceux qui sont de la police, de la gendarmerie, de l'armée ou je ne sais quoi. Les plus patibulaires portent costume cravate et chemise blanche. Il semble que ce soit les services secrets ou les gradés de la police. L'un d'eux est monté sur le toit en face de l'hôtel et intime l'ordre aux badauds penchés aux fenêtres de rentrer chez eux...


La garde royale à cheval patiente en rang dans la rue adjacente. Eliott est très intrigué par les chevaux qui ne peuvent se retenir de déféquer. Au fur et à mesure des palefreniers ou hommes de ménage tout de blanc vêtus ramassent le crottin avec des petites pelles et des grands sacs en osier qu'ils vident ensuite directement dans les poubelles municipales. La voiture blindée du roi a des angles droits là où ceux du cortège sont arrondis. Toute la ville est aux couleurs rouge et vert du drapeau marocain. Des guirlandes lumineuses entourent les palmiers. Sur la place proche du palais royal la sono tonitruante diffuse une excellente musique arabe. Ce n'est pas un hasard si le roi fête l'Aïd à Tétouan, geste probablement d'apaisement, dans cette ville très pieuse, après ses positions contre l'islamisme intégriste. Le Maroc bénéficie de largesses de l'Europe en échange d'une frontière barbelée qui empêche les migrants de franchir le détroit de Gibraltar et débarquer sur les plages espagnoles. Les jours qui suivent tout sera fermé. Nous avons fait des provisions d'eau minérale et j'ai stocké quelques pâtisseries orientales pour le goûter !

lundi 10 juillet 2023

Maroc (3) L'Aïd


Cinq millions six cent mille ou sept millions de moutons sont égorgés à 11 heures le jour dit de l'Aïd. À ce stade on ne les compte plus, surtout pour s'endormir à l'heure de la sieste. C'est probablement un par famille. À l'entrée de Tétouan le marché aux moutons et aux chèvres crée un embouteillage. Chacun choisit la bête qui lui fera un ou deux mois.


Certains viennent chercher leur mouton en carriole, d'autres le tirent avec une ficelle. Il faut bien être quatre pour faire grimper un mouton vivant dans le coffre d'une petite voiture. Ça bêle. Nina nous envoie des extraits hilarants de la série animée anglaise Shaun The Sheep. Mieux vaut en rire, mais cette boucherie forcément interroge nos propres pratiques carnassières.


Pendant l'Aïd Tetouan est une ville morte. Elle ressemble à la période du confinement. Pas un restaurant, pas une épicerie d'ouvertes. Les rues sont désertes. Nous nous replions sur les restaurants d'hôtels où nous sommes souvent seuls dans la salle, sauf au délicieux Riad Blanco situé dans la médina. Il faudra que je trouve la recette de la soupe de melon. Il faut toquer à une porte un peu anonyme qui s'ouvre sur un décor typique.


La terrasse d'une pharmacie traditionnelle offre un panoramique sur la médina. Il y a toujours autant d'antennes paraboliques, un peu de linge qui sèche, mais personne alentour. Les rabatteurs précisent toujours que leurs conseils de guide sont gratuits. Il touche évidemment une commission sur les achats que vous faites là où ils vous emmènent. Comme les touristes sont rares à Tétouan, il y a très peu de hustlers, le genre collant qui ne vous lâchent pas, en comparaison avec Marrakech, par exemple, qui est devenue infréquentable. Par contre, dans certains quartiers, on croise un mendiant la main tendue tous les vingt mètres, beaucoup de femmes, de personnes âgées et quelques estropiés. J'enregistre le muezzin qui au loin appelle à la prière.


Je craignais que mon petit-fils soit choqué par l'odeur du sang dans les ruelles rincées, par les têtes et les pattes qui y sont brûlées pour récupérer les cornes, etc. Au contraire il me demande de voir les carcasses de moutons accrochées chez le boucher et regrette de ne pas assister à la découpe ! Par contre le bruit du tambour l'agresse terriblement et nous sommes obligés de filer rapidement. C'est en nous perdant dans le labyrinthe de la médina que nous sommes tombés sur une place minuscule où jouent les Gnaouas avec leurs karkabats (qraqeb). Ils dansent.

samedi 8 juillet 2023

Maroc (2) Le Rif


Des dates ayant été annulées au dernier moment pour les Spatistes nous descendons ou montons tous ensemble dans le Rif, descendre parce que Chefchaouen est à un peu plus d'une heure de Tetouan vers le sud, monter parce que nous grimpons dans la montagne. Cette fois nous sommes superbement logés au riad Dar Dalia tenu par Rémy. Contrairement aux hôtels impersonnels, situés dans les parties nouvelles des villes, que nous tentons d'éviter autant que possible, les riads sont des maisons traditionnelles avec un patio ou un jardin intérieur entouré par les chambres. La fontaine centrale émet une douce musique camouflant les bruits de la medina. Nous prenons le petit-déjeuner sur la terrasse avec une vue sur la vallée et les collines qui nous surplombent. Comme nous sommes un peu saturés par la cuisine locale très répétitive, Nina décide d'y faire à dîner, en l'occurrence une salade et un riz réparateur !


Elsa me photographie en contre-plongée dans les escaliers qui mènent à une autre terrasse où le linge sèche au-dessus de deux grosses tortues qui passionnent les enfants. Pendant le séjour je porte essentiellement un pantalon de pêcheur thaïlandais et des chemises hawaïennes à manches courtes. Mon pantalon en lin made in China a craqué dès le premier jour et à Tanger, pour la fin du voyage, je choisirai un short avec plein de poches acheté à Bangkok il y a belle lurette.


Le lendemain matin de notre arrivée nous grimpons jusqu'à deux mosquées perchées tout en haut. Il fait très chaud sous le soleil. Heureusement je suis affublé de l'un de mes célèbres chapeaux à large visière et protection de la nuque. Je suis étonné qu'aucun couturier n'ait encore copié ces couvre-chefs que portent les pêcheurs cambodgiens du Tonlé-Sap. J'ai également pensé à emporter deux éventails, accessoire indispensable par grosse chaleur, comme mon sac de rando avec poche à eau et des sandales amphibies. Tout en haut il y a un petit café où nous nous désaltérons avec un thé à la menthe. Phildar nous épate autant que les paysans que nous croisons en marchant avec une bouteille d'eau posée debout sur sa tête. Un chien que nous ne connaissions pas nous accompagne pendant toute la grimpette, nous indiquant le chemin.


Chefchaouen est connue pour sa médina peinte entièrement en bleus. Je l'écris au pluriel, car même si sa couleur est unique, le temps, le soleil et la fantaisie des autochtones ont joué de ses variations. Comme partout si l'on évite l'heure de pointe et l'axe principal, les touristes sont rares dans le magnifique labyrinthe, même dans la Kasbah, forteresse ocre située en son centre, que je visite avec Nicolas.


Dans un bazar encombré de vielles choses sur plusieurs étages j'achète des babouches qui remplaceront mes charentaises Rivalin quimpéroises totalement élimées. Nous sommes tentés par les longues trompes en cuivre au son grave et rauque, mais leur taille les rend impossibles à emporter avec nous dans l'avion. Nous sommes déjà très chargés avec les cinq spats, une quinzaine de valises et sacs nécessitant de faire viser le carnet ATA de l'ensemble à l'entrée et à la sortie de chaque pays. Au vu de ce nombre mes camarades s'attendaient à ce qu'au moins une valise soit perdue par Air France et cela n'a pas manqué. Au retour en avion je suis amusé par ma lecture du roman de John Waters, Sale menteuse, dont les premiers chapitres content l'aventure d'un couple spécialisé dans le vol de bagages sur les tapis roulants des aéroports ! La suite semble aussi savoureuse, je dévore.


Nous faisons quelques kilomètres, trois quarts d'heure en taxi collectif, pour rejoindre les gorges d'Akchour où nous pourrons nous baigner dans les nombreuses cascades. L'hôtel Ermitage où nous résidons est extrêmement luxueux. Le prix est lié à sa situation, des chalets en bois individuels au milieu d'un jardin luxuriant, mais les prestations ne sont pas à la hauteur de sa publicité. Comme j'y reste deux jours seul avec mon petit-fils, nous profitons des bassins pour nous baigner avec les tortues d'eau qui nagent autour de nous...


Depuis la terrasse du restaurant de l'Ermitage on aperçoit au fond notre chalet "suédois" ! Après quelques mésaventures organisationnelles l'ambiance post-coloniale de cette résidence nous fait d'autant plus penser au dernier film d'Albert Serra, Pacifiction. L'hôtel a privatisé une portion de la rivière qui dégringole de la montagne. À l'aube j'enregistre les chants des oiseaux. Le soir Eliott est fasciné par un énorme crapaud en bas de notre escalier. Comme partout pendant notre périple c'est dans les bouis-bouis les plus roots que la cuisine est la moins pire. Les tajines y sont copieux et les poulets grillés au feu de bois.


Heureusement que nous montons au Pont de Dieu avec ses parents et les amis Spatistes, car je me vois mal crapahuter seul, avec mon petit-fils qui a cinq ans, sur les ponts de branchages en m'agrippant aux parois rocheuses. Par moments nous avons tout de même de l'eau jusqu'à la ceinture. Eliott est ravi quand passent au-dessus de nous une trentaine de singes magots. Cela change des cigognes. Le thé à la menthe ponctue agréablement toutes nos journées.


Sur le retour vers Tetouan j'admire partout les oliviers. Plus haut, partout dans la montagne, s'étalent les champs de cannabis. La région vit de cette culture, tolérée même si elle est interdite. On peut fumer localement du kif sans risque, mais pas question d'en rapporter. À cette époque les plants sont encore bas. Ils seront cueillis à la fin de l'été. Les routes, bien goudronnées, n'ont rien à voir avec leur état lorsque nous y conduisions dans les années 60 et 70. Je me souviens du jour où mon père avait fait voler la voiture de location sur un pont cassé comme dans un film avec Jean-Paul Belmondo ! Nous n'avions pas le choix. La route ne permettait pas de revenir en arrière. Il avait fait descendre tout le monde, y compris les bagages, et avait pris son élan. Ma mère et ma sœur qui ne s'étaient pas assez poussées avaient été recouvertes de boue à l'atterrissage ! Mon admiration paternelle était à son comble.

jeudi 6 juillet 2023

Maroc (1)


Autant commencer par une photo de Tétouan, au nord du Maroc où nous avons passé le plus de temps. Très peu touristique, extrêmement religieuse, cette ville à l'architecture influencée par le sud de l'Espagne, possède par ailleurs une médina magnifique nous plongeant dans un espace-temps à rebours de notre quotidien. Nous nous sommes longuement perdus avec délectation dans le labyrinthe des ruelles aux murs blancs et aux portes sculptées ou ouvragées. À comparer avec mes voyages marocains précédents qui remontent aux années 70 et 90, j'y ai constaté une pauvreté considérable (on rencontre un mendiant tous les vingt mètres), une plongée dans la religion expansive (la plupart des femmes sont voilées) et une gentillesse légendaire. La différence de régime entre les hommes et les femmes y est considérable, les uns libres d'aller comme ils le souhaitent, les autres contraintes à l'anonymat dans les espaces publics. J'ignore l'effet produit sur les autochtones, mais ces visages et corps camouflés m'apparurent particulièrement érotiques, comme tout ce qui est caché, mais immanquablement suggéré. Je continue de considérer toutes les religions particulièrement perverses, propres à opprimer les classes sociales les plus défavorisées et les femmes particulièrement, quelle que soit leur origine.


J'étais parti pour m'occuper de mon petit-fils qui a cinq ans et dont les parents travaillaient là-bas pendant ces deux semaines. Le soir il les retrouvait, sauf pendant deux séjours, dans les gorges d'Akchour et à Tanger, choisis pour échapper à la fête de l'Aïd où absolument tout est fermé. Tétouan était donc le lieu de résidence du Spat' sonore, invité par l'Institut Français. Nicolas Chedmail, Linda Edsjö, Elsa Birgé, Nina Daigremont et Philippe Bord y travaillaient leur prochaine création intitulée Näcken, collaboration des Spat' et du duo Söta Sälta. Je leur laisse le soin de raconter leurs aventures épiques qui commencèrent avec la perte d'une des valises de matériel par Air France. Leurs représentations durent être ainsi reportées d'une semaine, le temps de retrouver la valise et qu'elle soit acheminée jusqu'à Tetouan, les nombreuses surprises dont ils furent victimes n'incombant pratiquement jamais aux Marocains !


La nuit est particulièrement magique dans la médina, lorsque les ruelles sont vides et que l'on se retrouve souvent au fond d'inquiétantes impasses. La grande différence avec le passé est le recours au GPS qui permet de retrouver son chemin. C'est pourtant en plein jour que je suis tombé par hasard sur le souk des teinturiers. L'odeur suffocante habituelle était légère, les cuves probablement en attente des peaux des sept millions de moutons et chèvres qui seront sacrifiés la semaine suivante pour l'Aïd...


Pour des raisons religieuses les mannequins n'ont pas de visage ou même pas de têtes du tout. Au détour d'une ruelle je suis saisi par ceux de petits garçons affublés de chemisettes et T-shirts imprimés. Pour l'essentiel, tout ce qui est typique du Maroc est situé dans la médina, et tout ce qui est moderne est vendu dans la nouvelle ville. Cela signifie qu'on y trouve pas mal d'importations chinoises, comme dans le reste du monde. Il y a évidemment beaucoup d'imitations dans ce qui plaît aux jeunes. Les prix ne sont pas les mêmes. La différence de statut économique de la population fait le grand écart entre les quelques riches, voire les ultra-riches liés au régime royal, et la masse des pauvres.


Comme je l'ai écrit dans un précédent article la déception fut d'ordre gastronomique. Je connaissais l'excellence de la cuisine marocaine, mais le nord semble y échapper brutalement. L'offre est extrêmement réduite. Ce sont essentiellement des tajines rudimentaires, un bout de viande sur lit de pommes de terre avec deux ou trois morceaux de courgettes et de carottes. Le couscous du vendredi ajoute simplement de la semoule, mais sans bouillon contrairement à son cousin algérien auquel nous sommes habitués. Les épices sont rares. On nous sert quelques olives pimentées en guise d'apéritif, mais la fantaisie se résume à quelques poissons grillés, friture ou espadon, des calamars frits ou à la plancha, et parfois des brochettes. Nous nous rabattons sur les pâtisseries orientales et surtout sur le thé à la menthe...


Rentré à Paris, je me rattraperai en cuisinant un porc au caramel et des escargots aux courgettes et aux oignons avec un bouillon dashi. La photo ci-dessus est une plongée du Reducto où nous dînons de temps en temps, mais seul le Riad Blanco redonnera le sourire à nos estomacs. Pendant l'Aïd seuls les hôtels nous épargneront de mourir de faim. J'emprunte à Phildar le panoramique qu'il y fit avec Linda jouant un troll suédois derrière une colonne.


Nina m'évite de faire un selfie sur la terrasse du Reducto où le vent du soir nous requinque après la chaleur de la journée. La médina s'étend sur la pente derrière et autour de moi, mais les commerces sont en bas de la colline. Ils sont en général regroupés par corporations. C'est pratique pour les comparaisons, à condition de localiser ce qu'on cherche ! Nous aurons peu l'occasion de faire des emplettes. Je me suis rapporté seulement deux paires de babouches qui remplaceront les chaussons élimés achetés à Quimper il y a quelques années.


Après notre arrivée à Tanger qui nous permit de nous rafraîchir dans la piscine de l'Hôtel Chellah et l'immersion dans la foule de Tétouan accaparée par les préparatifs de l'Aïd et la visite du Roi Mohammed VI, nous allons descendre dans le Rif pour quelques jours de vraies vacances, que ce soit dans la bleue Chefchaouen ou dans les cascades d'Akchour, car franchement rien ne vaut la nature, même lorsqu'elle est domestiquée, ce qui est hélas le cas sur presque tout le globe.

mardi 4 juillet 2023

Come back


Rentré dimanche du Maroc, je n'ai pas encore eu le temps de reprendre le rythme du blog. Il m'a fallu passer deux heures à ramasser les feuilles mortes du jardin. Les bambous avaient poussé de près de deux mètres en hauteur et les tomates avaient besoin d'être tuteurées. Ajoutez cinq machines à laver, le courrier et tutti quanti, puis nous avons passé la journée d'hier à inventer des messages nudge avec l'équipe de choc de la SNCF. J'ai enregistré la voix des quatre filles et la mienne dans une ambiance aussi créative qu'enjouée. Reste à bruiter et mixer tout cela en fin de semaine.
Hier soir j'ai récupéré les légumes de l'Amap, ce qui va faire du bien après quinze jours tristounets côté gastronomique. Le nord du Maroc n'a rien à voir avec le reste du pays. C'est tajine à tous les repas (quelques patates, deux bouts de courgettes et de carottes qui se battent en duel, et un morceau de viande), éventuellement des calamars, une tranche d'espadon, un poulet grillé, peu d'épices, et du pain... Parfois c'est bon tout de même, parfois pas du tout, certains restaurateurs camouflant l'absence de fraîcheur avec du gros sel et du piment. Le couscous du vendredi c'est le tajine avec de la semoule et sans bouillon. En apéro, il y a toujours des olives. Le plus compliqué fut la semaine de l'Aïd où tous les restaurants étaient fermés. Ville morte façon confinement. Nous nous repliions sur les hôtels et fûmes momentanément sauvés par le Riad Blanco à Tetouan. Je reviendrai sur notre équipée sauvage dans quelques jours, le temps de trier mes photos. J'ai également capté quelques belles ambiances sonores à l'aube et au milieu de la nuit. Le plus excitant et le plus agréable fut le séjour à Chefchaouen et Akchour, ce qui équilibra certaines absences surréalistes que nous pouvions assimiler à Pacifiction. J'ai marché, j'ai beaucoup marché, avec le petit qui en fit tout autant, une partie de plaisir. Je garde le reste pour les jours qui suivent... Ce fut un très beau voyage (dans ce pays très pauvre aux mains de quelques très riches) et un grand plaisir de rentrer au bercail.

vendredi 12 mai 2023

Toujours de l'autre côté


On croit souvent que "l'herbe est toujours plus verte ailleurs". Ainsi ces coquelicots d'un bel orangé s'entêtent à pousser de l'autre côté de la barrière, au dessus d'un à-pic. Trait d'union entre des mondes à la fois si proches et si loin. Ces fleurs se tournent évidemment vers le sud. Comment leur reprocher ? Le mois dernier je me suis exposé comme elles, là, au soleil, il était cinq heures du soir et mon front est devenu rouge, jusqu'à peler. De ce promontoire nous plongeons sur la Loire. Je vois passer un bateau à roue. J'entends le bac faire des va-et-vient entre Indret et Basse-Indre. Il s'appelle Lola. Nantes doit bien cela au frère Jacques. "Celle qui dit v'la l'bateau, v'la l'samedi, v'la des matelots, on va tourner, on va danser, on va flirter sans y penser, on va rire et virevolter..." Je dors deux fois plus longtemps qu'à Paris. J'étais descendu à trois heures par nuit. La sieste pourrait rétablir l'équilibre, mais elle ne dure jamais plus de dix minutes. Chaque fois que je ferme les yeux le téléphone sonne, comme si mes paupières faisaient contact. Il y a longtemps que je sais que mon herbe n'est ni plus verte ni meilleure qu'ailleurs, mais c'est la mienne, celle qui m'est offerte au moment présent. La chance ne m'a jamais quitté si l'on tient compte de la patience. C'est sur la longueur qu'on évalue le bonheur. Si je tourne en rond, j'imagine que c'est pour mieux prendre la tangente. Ronger son frein. L'ailleurs n'est pas affaire d'espace mais de temps. J'ignore si l'herbe y est plus verte, mais les fleurs sauvages y font tour de magie.


Je pensais avoir terminé sur ce mot prometteur lorsque j'ai entendu quelqu'un frapper à ma fenêtre. Plusieurs coups répétés. Me retournant, j'ai reconnu l'oiseau. La pie, ou ce qu'elle incarnait, me regardait à travers la vitre de son œil narquois de petite voleuse. Je lui ai suggéré de prendre la pose. Lorsqu'elle s'est envolée, j'ai senti comme une page tourner. Elle ne pouvait emporter tout ce qui brille, ni l'or, ni le soleil, et encore moins mes rêves.

vendredi 7 avril 2023

Zoom arrière


[... Ce 13 septembre 2010] j'avais remarqué le texte de la pancarte vissée, pour ne pas dire clouée, sur un arbre le long du Gave de Pau, juste en face de la grotte où Bernadette Soubirous vit ses apparitions. Comme le tronc était également planté entre deux modernes fontaines d'eau miraculeuse, je notai l'humour de la situation. Mais je n'avais pas remarqué la variation de ponctuation selon les langues, ni surtout le dessin central. Faut-il se méfier des robinets disséminés partout sur le site, vu l'affluence en ce lieu "ceint" ? Ou les rayons entourant la main du noyé potentiel signalent-ils l'imminence d'un bras salvateur ?


Il est évident que les déçus, tentés de se jeter à l'eau, devraient être légion. Rappelons que la Vierge apparut à Bernadette en 1858, mais rien n'indique que depuis elle y ait élu domicile ou choisi comme lieu de villégiature. C'est pourtant de cet emplacement exact que la "simple d'esprit", je cite Zola, eut sa dix-huitième et dernière apparition. Nous ne sentons rien d'autre que l'angoisse égoïste de centaines de pèlerins, concentrés sur leur mal-être...


Comme nous faisons sagement la queue dans la grotte, deux femmes nous bousculent pour toucher la roche devant nous. Ce geste incivique en dit long sur la place du sacré dans ce supermarché de l'image pieuse. Il est une chose d'avoir la foi, une autre d'avoir les foies. La poudre d'or qu'on jette aux yeux de celles et ceux qui veulent à tout prix avoir une réponse à leurs angoisses sent le soufre. Les croyants exigent la quadrature du cercle. Seuls les scientifiques et les matérialistes ont le goût du mystère.

jeudi 6 avril 2023

Il n'y a pas de miracle


Journée Lourdes et humide. Pas de miracle. [Ce 7 septembre 2010] le temps semblait tourner à l'orage. La ville de Bernadette Soubirous exhalait un parfum morbide. L'angoisse des clients s'exprimait unanimement. Est-ce véritablement la dernière station avant l'autoroute ? Les auxiliaires en blanc s'affairaient autour des plus mal portants. Les chaises roulantes glissaient péniblement vers la grotte de Massabielle où les fidèles faisaient la queue pour palper la roche noire. Elles repartaient pourtant comme elles étaient venues. Autodafé du XXIe siècle, d'énormes cierges flambaient comme un bûcher. Seuls les colverts s'épanouissaient sur le gave de Pau qui traverse le site. Sans nous concerter, l'un et l'autre avons évité le contact avec la chasse d'eau. L'eau qui coule des toilettes puant la vieille urine est-elle aussi bénite ? Boulevard de la Grotte on vend toutes sortes de flacons à remplir aux dizaines de fontaines éparpillées sous la basilique de l'Immaculée-Conception. Les plus kitsch ont la forme de la Vierge avec un petit bouchon bleu sur la tête. La barre qui commençait à nous plomber les sinus était-elle due aux vibrations du sanctuaire ou étions-nous seulement affamés ? Devant un jambon de porc noir et une énorme côte de veau garnie de cèpes et de truffes je racontai à Sonia Lourdes et ses miracles, le fantastique film de Georges Rouquier, commande du Diocèse qu'il transforme en enquête à la fois sincère et pleine d'humour, sentiment résolument absent hier matin devant la piscine où attendaient sagement les pèlerins. Aux marchands du Temple qui s'égrènent tel un chapelet sur les deux côtés de la rue principale j'ai acheté une petite cloche en céramique et deux briquets à l'effigie de Bernadette. Nous avions opté pour le Palais du Rosaire, grand bazar aux prix vraiment attrayants : 2,50€ la cloche, moins d'1€ le briquet, et à partir de 5€ vous avez droit à un cadeau, en l'occurrence trois images pieuses. Mécréants à l'esprit définitivement mal tourné, nous avons fui cette ville de débauche batracienne et repris l'avion pour Paris avant que le ciel ne se gèle, grève oblige !

mercredi 22 mars 2023

Père Lachaise


Je ne peux pas imaginer faire une promenade au Père Lachaise sans aller saluer le buste de Georges Méliès, le créateur du spectacle cinématographique qui finit ses jours comme marchand de jouets et de bonbons à la gare Montparnasse. Depuis ma dernière visite en avril 2007 [j'écris là en septembre 2010] le cimetière héberge pas mal de nouveaux pensionnaires ou certains que je n'avais pas encore croisés sur mon chemin buissonnier. Pierre Bourdieu, Alain Bashung, Marie Trintignant, Mano Solo, Henri Salvador, Ticky Holgado ont rejoint la cohorte des immortels qui peuplent ce havre de paix. C'est pourquoi Arman se trompe lourdement...


Comme il [était] agréable de passer le dernier jour du mois d'août à la campagne par un temps pareil ! Je suis pourtant surpris d'entendre très peu d'oiseaux même si je sais qu'ils ne sont pas loin, quelque part au-dessus de nos têtes. Plus angoissant, nous ne rencontrons pas un chat. L'heure du déjeuner peut expliquer les allées désertes, mais l'absence de gente féline est inquiétante. Aurait-on vidé le jardin de ses hôtes câlins ? Une partie du charme s'est évanouie... Ayant proposé à Marie-Laure et Sun Sun de jouer leur guide, je les ai menés sans répit trois heures durant sur les traces de Radiguet, Proust, Hedayat, Apollinaire, Eluard, Balzac, Nerval, Modigliani, Morrison, Piaf, Colette, Desproges, Chopin et tant d'autres. En vieux Père-Lachaisien, j'évite les guides qui se proposent, ayant toujours préféré me perdre dans le labyrinthe des allées qui portent le nom du dragon ou des chèvres. [Les photos de cimetière] exhalent toujours un étrange parfum de mystère qui n'a rien à voir avec la mort. J'y sens une formidable pulsion de vie, l'énergie créatrice de la nature, la régénérescence à l'état brut. [...]