70 Voyage - août 2006 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 29 août 2006

Derrière l'horizon


L'horizon est un hors champ sans cadre, sans limites. Il respire les récits de Conrad et les aventures du capitaine Troy. Tout y semble possible, îles désertes, civilisations perdues, trésors cachés. On s'attend à ce qu'en surgissent une Armada, des naufragés victimes de passeurs assassins, le Nautilus, Moby Dick, l'Atlantide ou de simples navigateurs solitaires. Le soleil y fait surface chaque matin pour s'y plonger chaque soir. Alors seul un miroir étoilé scintille au-dessus des flots, encore plus loin, mais on n'entend rien d'autre que le bruit des vagues. Un vol d'oiseaux migrateurs ne ferait que poser de nouvelles questions. Pris en photo, l'horizon reste le plus mystérieux des castelets. La courbure enfin visible donne le vertige. L'eau donne son volume à la sphère. La ligne sans cesse repoussée reflète les profondeurs, mais la distance est immuable. Dis, Papa, c'est encore loin ? Tais-toi et nage !
En haute montagne ou dans le désert, il m'est arrivé de recevoir notre planète en pleine figure, sa nature certes, mais jamais cette appréhension globale...

dimanche 27 août 2006

Humanité (Le Corbusier 3)


Aux beaux jours, les enfants pataugent dans le bassin situé sur le toit. À humanité égale, c'est une image plus tendre que celle du plongeoir sur le vide construit à côté. Pourtant, le père de la cité radieuse s'est noyé il y a exactement trente et un an aujourd'hui.

samedi 26 août 2006

Le modulor (Le Corbusier 2)


Autour de la cité radieuse, commencée en 1945 et livrée en 1952, s’étalent un jardin, un tennis, des jeux pour les enfants, un parking. À l'entrée de ce monument historique de 337 appartements tous habités par une clientèle de plus en plus bobo (il n'existe même plus d'appartement témoin), et abritant hôtel, restaurant, bibliothèque, école maternelle, supérette, boulangerie, boutiques, cabinets d’architectes, piste de jogging, sauna, ciné-club, etc., les gardiens sont obligés d’être présents 24 heures sur 24.

Les couloirs, qu’on appelle la rue, me font penser à ceux des hôtels de Las Vegas. Les portes dessinent des tâches de couleurs dans l’obscurité. Le Corbusier imaginait que les habitants pourraient les laisser ouvertes, et qu’en bon voisinage, les passants auraient envie d’entrer, attirés par la lumière.

Sauf quelques rares doubles, tous les appartements font 3,66 mètres de large, c’est le module. Conçus tout en longueur, sans aucune place perdue, la plupart bénéficient de la double exposition. Il y a des studios, des apparts avec trois chambres, et quelques plus grands. Séparés les uns des autres par de l’air et reposant sur des plots de plomb, ils sont insonorisés.

Adelaide est fascinée par la place prévue pour accrocher les casseroles. Rosette adore le passe-plat et les boîtes sur le palier qui servaient à la livraison des plats ou de la glace (Corbu n'avait pas imaginé la place qu'allait prendre le réfrigérateur !). Françoise rappelle le travail de Charlotte Perriand qui a conçu le mobilier.

Tous les éléments architecturaux et le mobilier sont calculés sur une sorte de nombre d’or à partir de la taille des Français des années 50, le modulor. Les plafonds peuvent sembler un peu bas, maintenant que les jeunes ont grandi.

Après nous avoir fait visiter son duplex, Emmanuel a la gentillesse de nous guider jusqu’au toit. Vue à 360° sur Marseille. Lire le billet d'hier. Le Corbusier a pensé au moindre détail pour que la vie communautaire soit favorisée.

P.S.: une dernière image.

vendredi 25 août 2006

Invitation au suicide (Le Corbusier 1)


Le Corbusier rêvait d’un autre monde. En visitant la cité radieuse à Marseille, je suis sidéré par sa rigueur et son imagination. Tout est si cartésien qu’en regardant le plongeoir construit sur le toit, au neuvième étage, on a du mal à imaginer autre chose qu’une invitation au suicide. On dit qu’il rêva la cité radieuse si emblématique que l’on aurait envie de choisir son immeuble pour en finir avec la vie. Et Le Corbusier de construire ce promontoire au-dessus du vide, à côté du gymnase, de la pataugeoire pour les enfants, de la salle de spectacles et de l’écran en plein air. Tous les deux ans, un désespéré ne manque d’ailleurs pas de sauter. Depuis deux ans, la fréquence s'est accrue, deux par trimestre.
Le suicide est une affaire intime, comme la morale ou la psychanalyse. Drôle de comparaison, m’objecterez-vous. La folie, la rebellion, la délinquance, l’expression artistique sont des réponses si peu satisfaisantes face aux difficultés de vivre là. Il y est question de son rapport au social, et l’on peut respecter le choix de chacun, même si ce n’est pas une partie de rigolade pour celles et ceux qui lui survivent. Parfois un peu de patience aurait peut-être eu raison des idées noires. L’humour tout aussi noir du génial « fada » serait-il une leçon de savoir vivre ?
Charles-Édouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier voire Corbu, s’est mystérieusement noyé le 27 août 1965 à Cap Martin. Il est enterré à côté de sa femme, dans la tombe qu'il avait dessinée, au cimetière de Roquebrune.

jeudi 17 août 2006

Le jardin des délices (2)


Nouvelle arrivée du train en gare de La Ciotat. Il faut chaque fois se coltiner les marches pour descendre sous la voie et remonter sur le quai d'en face où nous attend Rosette. La caisse du chat me scie l'épaule et la valise est lourde des courses réalisées hier à Belleville. J'apporte à Jean-Claude huile de sésame, sauce d'huître, sauce pimentée, basilic chinois, coriandre, kimchi, pâte d'olive, wasabi, piment en poudre au sésame, bœuf séché, nems (couenne de porc fermentée), œufs de cent ans, saucisses à la citronnelle, échalotes confites...
En quinze jours, le jardin a changé de frimousse. J'en fais le tour avec Jean-Claude qui a épluché des noisettes fraîches pour un avant-goût de ce qui nous attend ces jours-ci ! Les petites figues vertes qu'on appelle des marseillaises commencent à être mûres, on les cueille lorsqu'elles commencent à jaunir et qu'elles pendent. Elles sont si parfumées que les grosses grises ou violettes en pâlissent. En piquant dedans une amande fraîche, on concocte un fruit déguisé, incroyable mais frais ! Tout aussi sucrés, les raisins noirs éclatent entre la langue et le palais. Je grimpe dans un arbre pour cueillir les dernières prunes noires, je me baisse pour ramasser les azéroles, comme de petites pommes de la taille d'une cerise. Ce festival de saveurs ravive la mémoire. Les tomates regorgent de soleil. Il reste de petites aubergines qui se tordent comme de grosses virgules. Météorites encore brûlantes, les potimarrons égaient la terre de leur boursouflure orange. La brume annonce de belles journées ensoleillées.

vendredi 4 août 2006

Dernier bain


L'eau était glacée. Il paraît que c'est excellent pour la santé. Le mistral avait fait chuter sa température de 12°. Une dégringolade de 30 à 18 ! On dit aussi que le vent souffle trois, six ou neuf jours et qu'il faut encore attendre une petite semaine avant que la mer se réchauffe.
Nous avons raté Pierre et Flo, coincés à Port Cros avec un vent de face de force 8. Ils arrivaient de Corse, après avoir terminé leur déménagement à Marseille.
À la Gare de Lyon, Adelaide et Nicolas nous attendaient pour nous emmener à la maison. Leur présence et celle de Jonathan m'a empêché de me livrer à la folie obsessionnelle du retour, où j'épluche le courrier, range les dvd, et remet à zéro les compteurs domestiques ! À la place, je me suis affalé dans les coussins jusque tard dans la nuit et j'ai attendu ce matin pour me livrer à ces occupations maniaques...

mercredi 2 août 2006

D'une calanque


La calanque du Mugel est à l'abris du Mistral qui s'est mis à souffler depuis hier. Dès que je nage avec un masque, je ne sens plus ma fatigue. Je me laisse entraîner loin du large par les poissons facétieux. Mon rêve est de retourner plonger dans les mers chaudes, dans les fonds sous-marins qui ressemblent à des jardins zen, au milieu de bestioles qui ont oublié d'enlever leurs pyjamas et portent des chaussures de clown. On ne les connaît qu'en captivité, dans des aquariums. Libres, ils jouent comme de jeunes chiots, chacun a sa propre personnalité. Les bouteilles donnent au corps une illusion d'apesanteur. Nager sous l'eau me plonge dans la plus grande perplexité. 70% de la surface du globe sont occupés par les océans. J'aime le désert et l'aventure des terrains vierges.