70 Voyage - novembre 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 24 novembre 2009

Le deuxième verrou


Ne pouvant laisser croire à la contrôleuse que j'étais en voyage de noces pour la convaincre de m'ouvrir un compartiment pour moi tout seul, je lui ai raconté que je voulais travailler et qu'il me suffisait de déplacer oreiller, duvet, bouteille et petits mouchoirs sans que cela ne lui coûte d'autre effort que de changer mon numéro de couchette sur son plan de wagon. La manœuvre porta ses fruits. J'ai beaucoup mieux dormi qu'à l'aller où un type sortait et rentrait toutes les heures sans refermer les loquets derrière lui quand il ne ronflait pas comme un sonneur. Au retour, après un sommeil réparateur, j'ai profité de ma solitude pour m'arnacher et enregistrer le son du train dont les rythmes m'ont toujours fasciné, sans compter les petits bruits métalliques provenant d'on ne sait où ni les fulgurants croisements ferroviaires au bruit blanc saturé.
Mon handicap lombaire me fait appréhender les longs voyages. La position allongée est hélas souvent accompagnée de mouvements de dangereux gymnastique pour se déshabiller ou trouver une position viable pour s'endormir. Peut-être que si je choisissais une place du bas ce serait plus simple, mais cette fois c'est la claustrophobie qui me guette. Enfants, nous voyagions dans le filet à bagages. J'ai grandi et la SNCF a transformé les compartiments. Les locomotives ne sont plus à vapeur et l'odeur n'a aussi plus rien à voir. Certaines améliorations sont à porter à son crédit. Ainsi le second verrou, dit entrebailleur, évite de se faire détrousser par les pirates du rail. Il faut bien avouer que ma paranoïa est justifiée par un Paris-Venise où Michèle s'est fait voler le sac qu'elle avait posé près de sa tête sans que nous ne comprîmes jamais comment le ou les voleurs avaient pu pénétrer dans le compartiment. L'arrivée magique du haut des marches sur le Grand Canal avait été quelque peu gâchée ! La tactique des bandits consistant à prendre illico un train dans l'autre sens avec l'adresse de leurs victimes et leurs clefs par-dessus le marché, nous avions appelé Marie-Christine pour qu'elle fasse changer toutes les serrures de l'appartement. Je me souviens que l'on racontait que l'utilisation de gaz soporifique n'était pas rare et mes camarades musiciens avaient l'habitude d'attacher la porte avec une ceinture... S'il est vrai qu'en Italie le vol peut être considéré comme un des beaux-arts, il n'empêche que j'insiste chaque fois pour refermer les deux loquets derrière soi dans les trains-couchettes.

dimanche 22 novembre 2009

Acharnement thérapeutique


Fou, idiot, obsessionnel, dépendant, maniaque, je pourrais en entendre de toutes les couleurs et, sous un certain angle, ce serait justifié. S'il existe une possibilité d'émettre mon billet quotidien, je mets tout en œuvre pour y parvenir. J'ai fini par intégrer cette discipline comme une activité aussi banale et indispensable que manger, se laver, se vêtir, dormir, rêver, travailler, faire ma gymnastique, lire le journal, etc. J'ai perdu la matinée d'hier penché à la fenêtre, en plein vent, à en attraper la crève et une tendinite, pour finalement me replier sur une solution plus évidente et combien plus efficace.
Tout avait commencé la veille vers minuit. Je m'aperçois que mon iPhone capte le signal d'Orange lorsqu'il est connecté à sa base avec le cordon USB jouant le rôle d'antenne ! Je passe à trois barres alors qu'il reste muet si je le décroche. Récupération de mails, utile avec différents travaux en cours. Françoise m'ayant involontairement réveillé tôt, je saute sur mes jambes pour immortaliser le soleil qui se lève sur les sorbiers des oiseaux plantés devant notre fenêtre. Comme toute la maisonnée est endormie, hormis les chasseurs partis avant l'aube, je me colle à la fenêtre pour publier mon blog. Si le texte et une des deux photos n'étaient pas passées comme une lettre à la poste avant les suppressions d'emploi et les réformes successives qui ont porté un coup fatal au service public, je ne me serais pas acharné pendant quatre heures sur la photo restante. Rien n'y a fait. Pas moyen. Énervé, j'ai fini par craquer en empruntant la Lada pour monter à la station de ski perchée au-dessus, sur l'autre flanc. La vue à 360° depuis Superbagnères désert est superbe. Je fais quelques pas, regrettant seulement de me retrouver seul au milieu du panorama. Mais que voulez-vous ? À chacun ses lubies.

samedi 21 novembre 2009

Les griffes de l'ours


Tous les repas de Lesponne étant pantagruéliques, je tente de ne pas faire trop d'incartades hors de mon chrono-régime, mais c'est chaque fois une épreuve. Entre les intestins de fouque sur canapés, les steaks de biche à la braise, les frites maison, le gratin d'endives, le pot au feu de canard sauvage, les grives, les fromages de brebis et de chèvre, les gâteaux et les bonnes bouteilles apportés par les amis, le vin d'orange, les liqueurs de nèfle ou de verveine, je dois mener une résistance insoutenable. Nous partons donc digérer en escaladant les collines jusqu'à l'ancienne palombière de Jean-Claude. La pente est raide et l'expédition est chargée de rapporter la cage qu'il avait fabriquée il y a de nombreuses années. Françoise qui ne peut jamais emprunter le même chemin que tout le monde se prélasse dans une chaise longue naturelle au creux d'un arbre...


Christian et Jean-Pierre découvrent des traces du passage de l'ours. Il y en aurait une quinzaine dans les Pyrénées et nous sommes justement sur leur chemin. L'un d'eux avait égorgé une brebis vers la cascade en y laissant son collier. C'est un sujet qui fâche parmi les chasseurs et les adeptes de la réintroduction de l'espèce slovène. Si les discussions avec certains chasseurs tempèrent mon antipathie pour le crime organisé, mon goût pour le gibier et l'absurdité de certains urbains ignorants de la nature aidant, les histoires qui se racontent font tout de même froid dans le dos quand on évoque les viandards, les inconscients et les malades de la gâchette. Donnez un fusil à des mâles et ils risquent de se comporter rapidement comme aux États-Unis où le port d'armes est autorisé.

P.S. : querelle de spécialistes, ce ne seraient pas des griffes d'ours, mais un cerf qui s'est frotté les bois pour faire tomber ses velours ou peut-être un de ses deux bois au moment de la mue... D'autres imaginent un très grand blaireau... Et puis retour à l'ours, etc.

vendredi 20 novembre 2009

Le Cirque de la Glère


Comme nous avons traversé la vallée jusqu'à l'Hospice de France, la connexion fonctionne avec le relais de Superbagnères tout en haut en face de nous. Situé juste au-dessus de notre grange, elle ne délivre aucun signal lorsque nous sommes à la maison. Un monument rend hommage aux évadés de France qui ont franchi les Pyrénées dès 1941, passant par les geôles franquistes, pour rejoindre les armées de libération en Afrique du Nord. On imagine mal les soldats allemands leur filant le train dans la montagne sans en connaître les chemins. Comme tous les habitants des derniers villages avant la frontière, les Luchonnais ont une mentalité proche des îliens. Il est coutume d'évoquer avec humour la Principauté de Luchon ! En faisant parler les anciens, on passe des soirées entières à écouter des histoires de braconnage et de contrebande, des sagas familiales dignes des meilleurs romans.
Hier matin, avec Françoise et Maurice, par le Chemin de l'Impératrice nous sommes grimpés jusqu'au magnifique Cirque de la Glère d'où nous avons admiré les galopades des isards et le vol d'un gypaète barbu. Ce rapace d'une époustouflante envergure orne le T-shirt que j'avais acheté à Luz-Saint-Sauveur en 1999 lors de l'un des derniers concerts d'Un Drame Musical Instantané. À l'ombre des cîmes il n'y a pas un chat, pas l'ombre d'un lynx non plus, mais Maurice repère des traces d'ours et croise trois biches en redescendant. Sur le chemin escarpé, un écureuil noir avait inauguré ce joyeux bestiaire.


Avant de partir, Françoise avait aussi filmé une salamandre qui s'était endormie au fond de l'abreuvoir. Chaque fois que je suis en montagne, je n'ai de cesse de chercher les bestioles qui la peuplent. Je me fiche des sports d'hiver, mais je suis aussi bête qu'un joueur qui attend de tirer le bon numéro quant il s'agit de surprendre des cerfs ou de repérer les chevaux sauvages qui, cet hiver, paissent à l'embranchement de L'ourson. En revenant nous nous arrêtons en voiture à la Cascade d'Enfer près de la Centrale électrique dont les lumières sont les seules artificielles à briller dans la nuit noire. Françoise a retrouvé la "piscine", un trou d'eau dans le cours de la Lys, où se baigner en été. À cette époque-ci, on voit des choses que le feuillage cache en d'autres saisons. J'en ai plein les chaussures de montagne et j'apprécie de me retrouver en chaussettes devant la cheminée à la tombée du soir.
La nuit tombée, la voie lactée et les millions d'étoiles transforment le ciel en écran d'épingles grâce à l'absence de lune et d'éclairage urbain. La hauteur de l'observatoire favorise ce tour de magie universel.

mercredi 18 novembre 2009

La course au mouton sauvage


On pouvait s'y attendre. Impossible de se connecter depuis les granges. J'ai beau tenir mon MacBook à bout de bras vers le ciel comme si c'était quelque divinité solaire, tournant sur moi-même comme un derviche, le réseau Orange fait la sourde oreille à mes incantations informatiques. Lorsqu'il capte enfin un peu de signal en écho, sa vitesse est préhistorique, récupérant seulement des ondes ancestrales qui existaient peut-être avant l'avènement de l'espèce humaine et de ses appendices technologiques. Je prends le prétexte de descendre au marché dans la vallée pour phagocyter quelque liaison sans fil luchonaise et poster ce billet.
Le matin, je prends des photos depuis la terrasse qui surplombe le panorama. Le temps de compter jusqu'à 1, le brouillard s'est levé. Celui de tourner la tête, il a déjà envahi le paysage. Je ne sais plus où donner de l'objectif. Je choisis une image banale où l'on aperçoit la cabane du berger. J'ai offert à Christian le livre qu'Antoine m'avait conseillé et que j'ai terminé sur la couchette du train Paris-Toulouse. La Course au mouton sauvage semble tout indiqué pour ce lecteur assidu qui dévore les livres en gardant son troupeau, jusqu'à 1500 têtes l'été. En acceptant l'ouvrage de Haruki Murakami, en japonais Murakami Haruki, un des auteurs préférés d'Antoine et je crois en comprendre la raison, il prend le risque de cette possession. Il a lui-même un mouton très spécial dont il n'a pas encore dit mot. Cet anarchiste trouve également illogique de laisser ses deux chiens rabattre les brebis qui se font la malle alors que ce sont celles qui lui ressemblent le plus. Christian, dans le plus grand dénuement, vit loin du monde contemporain qu'il connaît par les livres. Il ignore le confort moderne ou la propriété. Son esprit aiguisé est d'une autre ère, d'un air malin qui ne mâche pas ses mots. Tous ceux qui l'a appris sur la ligne de front de la littérature.