70 Voyage - juin 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 21 juin 2010

Back to the Future


Il était temps. Nous retournons chez nous, vers notre avenir. Ce n'est pas cet avion à hélices épinglé au-dessus du lac Ontario, mais un très gros porteur qui nous emportera cette nuit au-dessus de l'Atlantique après douze jours passés à Toronto. Les horaires des représentations ne nous auront pas permis de nous reposer ni de travailler sérieusement sur les autres projets en cours. Antoine dit qu'ici tout est en pointillé. Nous n'avons pas vu grand chose du festival, car Luminato est totalement éclaté sur la ville et rien ne permet vraiment aux artistes de se rencontrer. Si la métropole est très étendue, le centre est relativement petit. Je me rends compte que la plupart de mes photos représentent des immeubles, des maisons, des séquences urbaines. Nous avons sillonné les différents quartiers sur la selle de nos vélos jaunes en en criblant le plan de repas exotiques. Pendant que nous nous baguenaudions, les lapins ont joué leur rôle dans une salle à l'acoustique agréable. Nous repartons vers de nouvelles aventures qui, pour moi, portent les dates de l'automne en ce qui concerne Samsung, et 2025 ou 2052 pour deux projets d'anticipation...

dimanche 20 juin 2010

Au bout du rouleau


Si la fatalité ne s'acharnait pas sur nous, on ne l'appellerait pas la loi des séries. Dès qu'Antoine est rentré de chez le loueur de vélos où il a dû racheter un U, nous avons filé comme des dératés vers le Distillery District pour donner le feu vert à la marmaille lagomorphe. En tournant sur Parliament Avenue, je sens un truc bizarre. Mon pneu arrière est à plat. J'extrais un énorme clou provenant des chaînes du tramway dont les rails enchevêtrés sont autant de pièges mortels pour les cyclistes. Hélas les passants à qui je demande où trouver un réparateur me font tourner en rond dans la zone périphérique de Lake Shore, se contredisant les uns les autres. À qui faire confiance dans de telles circonstances ? Je pousse l'engin pendant une heure, sous la pluie et en sueur, pour échouer finalement à la Distillerie où je me fracasse le crâne sur une poutre basse en attachant ma bécane.
Miraculeusement je tombe sur Arsinée et Atom venus montrer nos lapins à leur fils Arshile, chute plus agréable que ma virée slapstick. Me voyant décomposé, Atom prend les choses en main, il enfile la bicyclette crevée dans son coffre, m'amène jusqu'à un taxi sikh dont il négocie la course qu'il va jusqu'à régler lui-même. Je sais déjà comment le remercier de toute sa gentillesse, mais ça c'est une surprise.
Le gros type mal embouché de la location me rend le vélo réparé une heure plus tard et je pédale à nouveau comme un fou pour arriver à temps à la représentation de Best Before, un spectacle interactif où chaque spectateur a une télécommande et un avatar sur le grand écran en fond de scène. L'expérience est intéressante et amusante, un peu longue et pas assez incisive à mon goût, mais elle laisse présager de spectacles futurs. Comme je n'avais ni le nom du théâtre ni son adresse, j'ai fait des pieds et des mains pour arriver juste comme le spectacle commence, déshydraté et à bout de force. Nous remontons ensuite jusqu'à Queens Park où une centaine de cuisiniers proposent des plats des quatre coins du monde. Il y a un nombre incroyable d'événements à Toronto ce week-end. Des rues sont bloquées, des essaims de policiers à deux roues sillonnent la ville, mais il fait beau, c'est déjà pas mal !


Le quartier de Kensington Market est apaisant. Nous faisons nos dernières emplettes avant le départ lundi. L'ambiance est très baba cool. Les vêtements, les maisons, les badauds rappellent un tout petit peu le Summer of Love, un air de West Coast américaine. Le son tonitruant des orchestres de rock envahissent les trottoirs. J'avoue préférer la trompette mexicaine d'un trio avec contrebasse et guitare. À Toronto, même les conducteurs, qui ne cessent de nous donner des leçons de morale assez pompantes sur notre manière de rouler, sont aimables. Malgré tout, les relations sont assez superficielles et nous restons hélas en dehors de la vie locale. Heureusement nous connaissions quelques amis qui nous ont accueillis bras ouverts.
Nous terminons la journée par encore un vernissage, cette fois au Museum of Contemporary Canadian Art, le Mocca sur West Queens West. Le thème d'Empire of Dreams est le rapport qu'entretiennent avec l'art les constructions urbaines. L'exposition est d'un meilleur niveau, mais plus classique que celle de la veille. Je me finis au jus de cerise noire.


Enfin, pas tout à fait. J'abandonne Antoine à la tournée des bars qui diffusent du punk rock à fond la caisse pour rentrer sans lumière à l'hôtel, exténué par une journée sans repos. Pensant repasser à l'hôtel me changer, je n'ai pas emporté mes petites lampes géniales qui se fixent au guidon avec un élastique. Quel soulagement ! Le marathon est terminé. Vite dit ! Apercevant les baigneurs vingt-six étages plus bas, je décide d'aller piquer une tête. Façon de parler, car les plongeons sont interdits. C'est exactement ce qu'il me fallait. Après quelques longueurs dans la piscine ouverte même par les plus grands froids de l'hiver canadien, je remonte taper cette journée bien laborieuse. Merci à celles et à ceux qui auront eu le courage de me lire jusqu'au bout. Moi, je n'en peux plus.

samedi 19 juin 2010

La clef, une énigme


Cette nuit ma bicyclette a dormi toute seule. En descendant vers The Power Plant où avait lieu le vernissage de l'exposition Adaptation: Between Species, Antoine a perdu la clef du U de son vélo. Nous avons fait tout le chemin, aller et retour, sans succès. Quelqu'un l'aura ramassée. Les policiers qui se sont multipliés comme des lapins quadrillent le quartier, mais je crois que c'est plutôt pour le G20 qui se réunit bientôt à Toronto. Nous avons continué notre vagabondage en attachant ensemble les deux engins, mais cette nuit celui d'Antoine fréquente les valises de la consigne. Mon camarade n'aime pas les clefs. Je le comprends, je démonterais bien toutes les portes de la maison ! D'habitude il oublie ses clefs ou les confond. Ce n'est pas aussi grave que de laisser son sac avec passeport, appareil-photo, etc. dans le panier de son vélo comme je l'ai fait hier soir aussi pendant que nous dînions à Chinatown. Je suis chanceux, comme disent les Québécois, de l'avoir retrouvé en sortant. J'ai été quitte pour quelques secondes d'adrénaline. Juste avant que nous ne sortions du restaurant, la lumière s'est éteinte dans tout le quartier. Joli encombrement aux intersections ! La remarquable auto-discipline nord-américaine ne fonctionne alors plus du tout. Arrêt sur image. On ne bouge plus. On klaxonne. Pour dire qu'on est là. L'obscurité.


Pendant qu'Antoine fait un premier aller et retour à la recherche de l'objet perdu, je flâne le long des quais. Le vernissage diffuse la même musique tonitruante que partout. Ce choix reste un mystère. Mettre de la dance pour une exposition d'art contemporain fait preuve d'une faute de goût, d'un manque de discernement. L'enceinte urbaine serait une aubaine pour les designers sonores ! À l'intérieur j'aime bien l'étrange rituel du motard ramassant le cadavre d'un kangourou renversé (Shaun Gladwell, Apologies 1–6), le renard enfermé dans un musée londonien que les caméras (couleurs) de surveillance suivent dans ses moindres mouvements (Francis Alÿs, The Nightwatch), les six aveugles découvrant au toucher la peau de l'éléphant (Javier Téllez, Letter on the Blind For the Use of Those Who See), la fille qui fait la morte pour se faire lécher la figure ou les pieds par ses lévriers (Michelle Williams Gamaker, Sunday Afternoon II)... Ce sont toutes des vidéos intelligentes et sensibles, mais je ne continue qu'à y voir un plan de cinéma, tout au plus une séquence. C'est le temps que les visiteurs consacrent à une œuvre. On picore.

jeudi 17 juin 2010

Mélopée en sous-sol


La chute des escaliers roulants était impressionnante, mais le premier soir, en faisant la photo depuis le hall de l'hôtel, je n'avais pas imaginé ce qu'il y avait au bout, ni même s'il y avait un bout. La piscine étant au troisième étage, nous avions bien envisagé des salles de réunion ou des réserves, un point c'est tout. En nous promenant dans le quartier, nous avions désespérément cherché une boulangerie ou un endroit simple pour prendre le petit-déjeuner, sans beaucoup de succès. Nous étions agréablement surpris par l'absence de fast-foods à chaque coin de rue. Aussi avions-nous décidé de pousser plus loin vers l'ouest chaque fois que nous avions besoin de quelque chose.
Hier matin, comme Antoine ne trouvait pas de yaourt aux fruits frais avec céréales semées sur le dessus, je suggérai d'aller jeter un œil au Path, enchevêtrement de couloirs en sous-sol servant à circuler l'hiver dans la ville enneigée et l'été à attraper la crève dans l'air conditionné poussé au-delà du raisonnable. Comme il pleuvait, c'était le moment ou jamais d'expérimenter les passages couverts. Nous découvrons alors des centaines de magasins souterrains, il y en a plus de 1200, la foule, le métro à six heures du soir. Imaginez un centre commercial labyrinthique de 28 kilomètres de long, boutiques, fast-foods, cordonneries, photocopieurs, marchands de journaux, absolument tout sur 371 600 m2. Y sont connectés cinquante gratte-ciels, les plus grands hôtels, les théâtres, vingt parkings, la gare, le métro... Je me suis retrouvé au milieu d'un grand magasin qui ressemblait aux Galeries Lafayette ! Ce serait trop simple si les couloirs suivaient les rues en surface, mais le Path a sa propre logique et nombreux Torontais me confient qu'ils s'y perdent encore. Quant au petit déj, nous avions le choix entre américain, français, chinois, japonais, italien, grec, coréen, mexicain, etc. Nous avons beau savoir maintenant que tout est là, sous nos pieds, nous continuons à préférer enfourcher nos vélos et prendre le soleil même s'il joue à cache-cache.

mercredi 16 juin 2010

Flightstop & Firegirl


En face du Sheraton, le Toronto Eaton Centre ouvre ses portes à 10 heures... J'ai le temps d'aller prendre un petit déjeuner au Commensal, succursale du célèbre restaurant végétarien de Montréal. Mieux vaut y déjeuner ou dîner ; le prix est fonction du poids des aliments choisis parmi une centaine de plats du buffet... L'immense galerie du "mall' abrite donc Flightstop, une œuvre de 1979 de Michael Snow, soit soixante oies sauvages avec photo imprimée sur leur corps de métal. À Noël 1982, le complexe commercial leur avait ajouté des nœunœuds rouges autour du cou. L'artiste avait plaidé pour atteinte à l'intégrité de son travail et avait eu gain de cause, faisant au Canada jurisprudence. Pour la petite histoire, contrairement à ce que Vincent avait cru comprendre, la fameuse Walking Woman entrevue dans New York Eye & Ear Control n'est pas Carla Bley, bien qu'une image de celle-ci apparaisse en effet furtivement dans le film. Michael Snow présentera de nouvelles œuvres au Fresnoy en février 2011.


Après Little Portugal et Little Italy hier, nous pédalons cette fois jusqu'à Little India, à l'autre bout de Toronto, pour déjeuner. Au retour nous longeons les studios de cinéma et des sites industriels pas très glamour, mais c'est si bon de sentir le vent à bicyclette sous le soleil revenu.


La jeune chanteuse de blues Layla Zoe, une force de la nature rappelant Janis Joplin que nous avions entendue à la soirée d'ouverture de Luminato, nous rejoint au Distillery District pour la seconde représentation de Nabaz'mob. Ce soir-là les consignes avaient été drastiques, robe fancy ne collant pas du tout à son personnage, ordre et choix de trois chansons parmi les sept standards qu'il lui avait été demandé de présenter, aucune vente de disques, orchestre imposé, etc. Son cinquième album The Firegirl réunit ses propres chansons, un plus large éventail de ses possibilités vocales et de sa sensibilité. Le titre Miner's Hole échappant aux codes me plaît particulièrement avec son propre accompagnement au synthétiseur, mais ses blues tel Birthday Song sont terriblement prenants.


Après dîner végétarien au Fresh, Layla nous emmène finir la soirée au Rex où se succèdent les groupes de jazz. Si la musique swingue agréablement, en particulier l'orchestre de Justin Gray à la basse à six cordes, composé de son jeune frère Derek, batteur inventif et aérien, les frères Kay, décidément encore deux frères, aux saxophones et un guitariste, je tangue tout autant après deux grands verres de bière. Aussi je rentre directement à l'hôtel en espérant m'endormir rapidement. Je rêve.

mardi 15 juin 2010

Chaînes de vélo, bandes magnétiques, film celluloïd, la grande boucle


Journée off pour les lapins hier lundi. Après le déjeuner au Rivoli, Atom nous conduit à son studio où sont accumulés tous ses trésors. La transcription pour guitare qu'il a lui-même réalisée d'une pièce de John Cage, dédicacée par le compositeur, à la même époque où je le rencontrai à l'Ircam, période Roaratorio dont nous sommes fans tous les deux. Une lettre de Hanecke questionnant la technique vidéo utilisée par Atom. Des affiches. Des photos. Un film 35mm représentant une séance de montage tourne en synchrone sur son ancienne table de montage Steinbeck double bande.


Cette installation "domestique" me rappelle sa merveilleuse exposition Hors d'usage réalisée à Montréal en 2002. Des Québecois prêtèrent leurs vieux magnétophones à bande des années 50 et 60 et racontèrent la dernière fois qu'ils s'en étaient servis. Leurs mains manipulant les bobines sont projetées sur un plexiglas incliné donnant l'impression d'une image fantôme au-dessus des appareils. C'est extrêmement émouvant. Je lui raconte l'histoire de mon premier Radiola en 1963, à l'origine de ma vocation. Atom nous montre d'autres restes de ses installations dont celle où figure une immense boucle de film celluloïd qui circule comme des lianes dans un grand hangar obscur.
Il nous dépose au Community Bicycle Network où nous louons deux vélos jaunes comme nous l'a suggéré Françoise avant le départ. Depuis sa dernière visite, l'un de ces engins porte d'ailleurs son nom ! Le rétro-pédalage pour freiner ce n'est pas top, mais on s'y fait. Décidément nous adoptons Toronto avec une facilité déconcertante, à moins que ce ne soit le contraire ?
Nous aurons réussi à croiser Kay qui s'envole demain pour atterrir chez nous à Bagnolet. Alex et Eric, pas revus depuis notre safari thaï à dos d'éléphants, nous rejoignent pour dîner dans son "funky neighbourhood". L'annonce de la découverte (ou de la cachoterie) des mines de lithium et autres métaux précieux en Afghanistan ne manque pas d'alimenter notre discussion. Le retour à bicyclette a un goût de fraîcheur et de liberté.
De mardi midi à jeudi 18 heures, deux représentations par jour de Nabaz'mob remplacent l'installation en boucle qui recommencera vendredi jusqu'à dimanche soir.

lundi 14 juin 2010

Toronto traversé (dans sa longueur)


Tard dans la nuit je rédige le journal de notre voyage. Les lumières de la ville ne reflètent pas âme qui vive. Ce ne sont que bureaux vides. Le week-end, le quartier est mortel, mais il suffit de faire quelques pas pour trouver de l'animation en remontant Queen West et en bifurquant au nord vers Chinatown. Les restaurants asiatiques jalonnent notre route, avec une variété de plats que nous ignorons à Paris, tant en sushis qu'en mets vietnamiens, chinois ou coréens. Je reconnais les parfums de Belleville, mais c'est à Kensington Market que je trouve des trucs idiots à rapporter comme le Wind Breaker (pour remplacer ma pâte à prout dont j'ai fait don au Musée des Arts Décoratifs à Paris), une cloche chinoise à battant de bois, les Kaboom Sticks et surtout le Zube Tube (The Ultimate Cosmic Sound Machine) trop long pour entrer dans ma valise et dont je n'ai pas la moindre idée de comment lui faire passer la douane au retour. L'atmosphère Village rappelle plutôt la côte ouest des États Unis tandis que le Financial District derrière le Sheraton ressemble immanquablement à New York.


Chaque quartier dégage une atmosphère particulière. Les immeubles en brique des anciennes usines du Distillery Historic District, désaffectées pendant des décennies, ont été investies par des boutiques chics, des galeries d'art et, pendant toute cette semaine, par nos petits rongeurs ! Le week-end, après avoir lancé l'opéra et mis les guides au parfum nous avons la journée pour nous. Samedi, en traversant l'Old Town, nous tombons par hasard sur Woofstock, un immense marché pour chiens, le plus grand d'Amérique du Nord. On ne peut en imaginer l'étendue sans l'avoir vu. Des chiens de toutes races, grands comme des veaux, petits comme des rats, costauds comme des labradors, touffus comme des chiens de traîneau, tirent leurs maîtres vers les stands où sont vendus tout ce dont la gente canine peut rêver. Des concours de reniflage de cookies sont organisés sur l'une des scènes. Un tapis rouge annonce un défilé de mode. Et pas une crotte sur les trottoirs ou même sur le goudron ! Je pense à l'opéra pour chiens qu'avait imaginé Erik Satie avec le rideau s'ouvrant sur un os gigantesque.


Luminato, "festival des arts et de la créativité", est très critiqué pour squatter tout l'argent dédié à la culture au Canada. Il est certain que c'est somptueux. La programmation est extrêmement éclectique avec une tendance explicite pour les spectacles populaires, orientés vers les différentes communautés qui constituent la vie de Toronto. Nous sommes invités à des soirées comme celle d'ouverture où Antoine et moi nous refaisons une beauté dans les toilettes en sous-sol, sous l'immense chapiteau. Le Path est une seconde ville où les galeries souterraines communiquent entre elles pour que la ville ne soit pas paralysée en hiver... Les cartons d'invitation indiquent "tenue de cocktail" ou "week-end chic". Antoine qui s'est composé le costume d'un yachtman sorti de "Certains l'aiment chaud" envie les regards se portant essentiellement vers mon accoutrement orange. Si je reçois maints compliments qui devraient plutôt revenir à Issey Miyake, j'entends aussi qu'il faut du courage pour porter cela et que ce ne peut être qu'un étranger pour l'oser ! Les Torontais sont pourtant extrêmement libres dans leur manière de s'habiller et de se comporter.


À la soirée d'ouverture, lourdement sponsorisée par Armani, le festival lui-même portant L'Oréal partout à son fronton, je tombe dans les bras d'Arsinée et Atom. Les photographes nous mitraillent et je me demande si je ne vais pas me retrouver en page "people" comme les night-clubbers dont la notoriété a toujours été pour moi un vrai mystère... Le lendemain j'ai les pieds en compote d'avoir arpenté Toronto toute la journée de samedi. Dimanche, nous avions donc prévu de nous reposer, mais après le déjeuner setchouanais délicieusement parfumé nous avons passé l'après-midi à l'AGO, le Musée des Beaux-Arts de l'Ontario construit par Frank Gehry, un labyrinthe où les œuvres récentes côtoient les anciennes, jusqu'à ces sculptures inuït préhistoriques qui semblent avoir totalement inspiré l'art moderne. Comme il est interdit de prendre des photos, je trouve un tableau non surveillé dans un couloir tout blanc. Il s'agit d'un ready made pompier ayant échappé à la vigilance des conservateurs...


Le soir j'ai l'immense plaisir de rencontrer Michael Snow, discussion d'abord en anglais, continuée dans un français que l'artiste manie avec la même gentillesse. La projection de La région centrale en 1971 a changé ma façon de regarder et les films, et le monde qui m'entoure. J'ai également la chance de posséder, entre autres, un exemplaire de Cover To Cover, livre-objet interactif permettant de regarder un film imprimé sur papier à la vitesse souhaitée par chacun de ses lecteurs. L'œuvre présentée à Luminato s'intitule Solar Breath (Northern Caryatids) : un rideau devant une fenêtre vient se plaquer contre son cadre à chaque courant d'air tandis que l'on aperçoit de temps en temps le panneau solaire produisant l'électricité nécessaire au tournage et que l'on entend le hors-champ sonore de la pièce. Mani Mazinani, un ancien étudiant d'Atom Egoyan (le cinéaste est responsable de cette exposition en hommage à feu David Pecaut) s'en est inspiré pour créer Light Air, une double projection sur écran vidéo et sur rideau de fumée où les deux espaces simultanés produisent une effet de décalage temporel. Nous dévorons tous ensemble les merveilleux sushis de Ki en écoutant les discours hyper-pros des différents sponsors et organisateurs du festival. Les anglo-saxons savent manier l'humour sans être trop long, contrairement à nos concitoyens qui plomberaient n'importe quelle soirée de ce genre.


En sortant nous allons admirer l'Allen Lambert Galleria adjacente, conçue par Santiago Calatrava. Ce long article se termine comme il a commencé. J'ai regagné mon 29ème étage. Le panorama nocturne ressemble à une toile peinte percée de petits trous pour laisser passer la lumière, comme pour de vrai !

dimanche 13 juin 2010

Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son


Pour commencer j'ai inversé les jours de création. La première de Nabaz'mob à Toronto était hier et c'est ce soir à minuit que passe l'émission Tapage Nocturne où je joue en duo avec le violoncelliste Vincent Segal. Je ne souhaitais pas signaler France Musique au dernier moment et les Canadiens pouvaient attendre aujourd'hui pour l'annonce de l'opéra qui sera montré à Luminato jusqu'au dimanche 20 juin.
Nous avons commencé nos longues promenades à la découverte des différents quartiers de la ville. Si j'ai plusieurs fois eu la chance d'enregistrer aux grandes orgues, que ce soit à Stuttgart ou Paris, je n'ai jamais vu de près comment fonctionne un carillon. En flânant depuis le Distillery District où notre clapier est installé, nous sommes passés devant une église dont la pelouse était occupée par des joueurs d'échecs, des adeptes du taï-chi et une clocharde en représentation depuis le début de la matinée. Un musicien s'en donnait à tout va, envahissant Queen Street de ses furieuses mélodies, modulateur en anneau acoustique avec lequel aucune installation sonore ne peut rivaliser. L'usage d'un tel mobilier urbain est un ravissement que même la sirène hurlante de la police ne saurait ternir :

Ayant laissé mon magnétophone à l'hôtel, j'ai tenté le coup avec l'application Dictaphone de mon iPhone. Ça vaut ce que ça vaut, mais en cherchant sur Internet je m'aperçois que le carillon de l'Église Unie Metropolitan Church est célèbre à Toronto. Le blogueur qui l'évoque me laisse penser que c'était probablement Gerald Martindale frappant les 54 cloches de la tour avec ses poings plus les pieds du pédalier pour les basses dont la plus grosse pèse quatre tonnes et demie. Les diling diling du premier mouvement de Nabaz'mob sont bien riquiquis en comparaison. L'acoustique de l'Ernest Balmer Studio au Tapestry New Opera nous permet aussi de jouer sans amplification, ce qui est toujours plus impressionnant. Cent petits haut-parleurs que j'écouterai demain en repensant au concert de cet après-midi qui nous a figés sur place, hypnotisés par les grappes de notes frappées avec une fougue qui franchement n'avait rien de liturgique !

vendredi 11 juin 2010

Les lumières de la ville


Ne sachant pas quelle photo choisir j'en ai juxtaposé trois pour une petite reconstitution de la vue grandeur nature qu'offre Toronto depuis la baie vitrée de ma chambre d'hôtel. Le Sheraton occupe à lui tout seul un "bloc" avec sa Queen's Tower de 43 étages. L'ascenseur passe directement du 4ème au 23ème, mais nous nous arrêtons humblement au 29ème. Comme d'habitude, pas moyen d'ouvrir la fenêtre et l'air conditionné obéit mal à mes injonctions. Je grelotte alors que dehors il fait bon. Entre deux gratte-ciel on aperçoit le lac Ontario. Le quartier est très agréable, galeries d'art, restaurants exotiques fréquentés par des jeunes, cosmopolitisme permettant à chacun de vivre comme il l'entend... En rentrant de dîner le panorama s'est allumé comme les vieilles cartes postales que l'on place devant l'abat-jour pour passer du jour à la nuit.


La CN Tower (553,33 mètres !) s'est éclairée en rose. Les petits rectangles de lumière ne sont que des bureaux. Ma chambre donne au sud et celle d'Antoine au nord. Lui voit le City Hall et la verdure qui s'étale à perte de vue sur les 630 km² de la ville. Tôt demain matin nous installons nos lapins. Mes yeux se ferment tandis que je repense à la nouvelle installation que nous avons imaginée dans l'avion et qui pourrait voir le jour en novembre, enfin, si elle résiste à l'analyse ! La sirène d'un gros navire trompe sans cesse, sans que l'on sache pourquoi. Malgré le décalage horaire, c'est la nuit ici comme à Paris.

N.B.: j'en parlerai plus précisément d'ici là, mais dimanche soir à minuit sur France Musique dans Tapage Nocturne, Bruno Letort diffusera le duo que j'ai enregistré avec le violoncelliste Vincent Segal...

jeudi 10 juin 2010

Nous revoilà partis


Plus de huit heures cette fois pour rejoindre Toronto. Nos cent lapins sont restés sur place depuis les représentations de Victoriaville. Ils ont pris la route pour l'Ontario aussitôt leur clapier regagné tandis que nous traversions l'Atlantique dans l'autre sens, sur les ailes de la mélatonine. C'est reparti pour un tour. Nous les rejoignons maintenant pour une douzaine de jours à Luminato, le célèbre festival canadien. Les bestioles dorment sur place et nous au Sheraton où nous nous ébattrons dans la piscine pendant qu'ils remueront leurs oreilles à l'ombre. Ne sachant pas nager, leurs revendications portent seulement sur la qualité de la lumière et de l'insonorisation. La configuration du Studio 316 de l'Ernest Balmer Studio au Tapestry New Opera (55 Mill St., Building 58, The Cannery) est telle qu'ils ne devraient pas avoir besoin d'amplification. Les cent petits haut-parleurs situés dans chaque estomac se répondront en un mouvement brownien où règne le principe d'incertitude en une délicate centophonie.
Nous présentons l'opéra Nabaz'mob sous ses deux versions.
En installation permanente : samedi 12 (12h-20h), dimanche 13 (12h-18h), vendredi 18 (17h-22h), samedi 19 (12h-20h), dimanche 20 (12h-18h).
En spectacle : mardi 15, mercredi 16 et jeudi 17 (12h30 et 18h).
Toronto rime pour moi avec Michael Snow dont je suis un admirateur depuis ma première année à l'Idhec en 1971 où Jean-André Fieschi nous avait projeté La région centrale. Je pense aussi à Atom Egoyan grâce à qui nous avons été invités et que nous retrouverons là-bas avec Arsinée Khanjian. Nous aurons juste le temps de croiser Kay Armatage que Françoise hébergera à Paris en mon absence et que je ne crois pas avoir revue depuis notre repas de fourmis grillées à Changmai dans le nord de la Thaïlande ! Toronto, c'est aussi Glenn Gould, Teresa Stratas, Neil Young, Frank Gehry, David Cronenberg pour citer quelques artistes qui m'ont remué plus que les trous d'air, perturbations qu'évoquent de temps en temps stewarts et hôtesses et que j'adore sauf au moment des repas ou lorsque j'ai besoin d'aller faire un tour au fond de l'appareil...

samedi 5 juin 2010

Antoine Serre, peintre à bicyclette


En sortant mon vélo, j'ai aperçu au coin de la rue un monsieur sur un pliant qui semblait prendre des notes par dessous ses lunettes. Séduit par nos couleurs, Antoine Serre dessinait nos maisons. Je suis repassé une demi-heure plus tard comme il avait entrepris de les peindre. Après avoir réalisé maints croquis de voyage en Afrique, il a pensé que ce serait une manière de connaître sa ville, voire de rencontrer du monde, chose moins facile à Bagnolet qu'au Cameroun ! Son matériel tient sur le porte-bagages de son vélo électrique qu'il m'a gentiment laissé essayer. L'accélération au démarrage est ahurissante. Ensuite les côtes se grimpent comme qui rigole. Le peintre assemble les paysages urbains de Bagnolet dans un grand carnet en accordéon qui offre un point de vue passionnant sur l'instant présent. On ne regarde pas une aquarelle comme une photographie. Le regard de l'artiste privilégie certains détails au détriment des autres. Il force le réel, accentue les contrastes, révèle les bâtiments que l'habitude a fait disparaître...