Notre voisin possédait deux grands arbres magnifiques, un cèdre et un peuplier qui participaient tous deux au charme du quartier. Il a fait couper le peuplier, probablement parce qu'il leur faisait de l'ombre. Il aurait pu l'élaguer comme le fit son prédécesseur. Il a préféré tout raser. Un massacre. Tout le voisinage l'a vécu comme un crime. Aujourd'hui silence. Les corbeaux, les tourterelles, les pies, tous les oiseaux de passage y faisaient halte. Un silence de mort.
Armé de sa tronçonneuse, ivre de destruction, il n'a pas pu s'arrêter là. Il a supprimé l'intégralité de la haie de conifères mitoyenne. Un désert. Un désert urbain. Pourquoi couper la haie qui faisait un effet tampon aussi profitable à lui qu'à nous, absorbant les nuisances sonores et, de notre côté, évitant aux ballons de foot de ses gamins de venir écraser nos fleurs et en casser les pots ? Mystère. Il y a des gens qui n'aiment pas ce qui leur rappelle la terre. Là où passe l'homme la nature trépasse. Nous sommes aussi furieux que s'il avait abattu son chien. Nous sommes aussi tristes que si nous avions perdu un ami. Combien de temps faut-il pour grandir, combien en faut-il pour mourir ?

Hier, certains me faisaient remarquer que si ce voisin ne vivait pas renfermé sur son communautarisme, on aurait pu en discuter avant qu'il ne commette l'irréparable. Quatre vingt ans effacés en quelques heures. Dans la rue, ce poumon appartenait à tous. Je me souviens des images de coupe au début du film Le diable probablement de Robert Bresson. Ce n'était pas la première fois, pourtant, en voyant les arbres qui s'abattent, en entendant la plainte du bois qui grince, les larmes me montent aux yeux et la colère en moi.