Après les images de glace, de neige, d'iceberg et de banquise, j'ai allumé le feu dans la cheminée. C'est une pyramide. Du papier froissé ; du carton, un cageot ou du petit bois ; trois bûches, il faut toujours au moins trois bûches et laisser de l'air entre elles. Pourtant je n'avais pas froid. Cuisiner sur la braise a l'intérêt de donner un goût de fumée aux aliments. Françoise préfère la pierrade, j'utilise plus volontiers le grill. Ne pas laisser brûler, ce serait dangereusement toxique. Comme la cheminée tire bien, pas une odeur ne filtre dans la maison. Ce n'est pas le cas de la cuisine qui laisse s'échapper la moindre odeur dans toutes les directions. Le Crazy World d'Arthur Brown résonne à mes oreilles : Fire ! Pourtant, l'âtre installe un climat paisible. Il circonscrit le foyer. Le pare-feu permet qu'on s'en éloigne. J'ai fait réchauffer un plat portugais au micro-ondes, des pois chiches en sauce avec des pieds de boeuf, du chorizo et du boudin noir. Le mão de vaga com grão, c'est de saison. Faire du feu à Paris a quelque chose d'irréel. Nous sommes transportés. Hier plutôt qu'ailleurs. Que restera-t-il des bûches demain matin ? Les flammes qui lèchent le bois poussent à la rêverie. Dehors les quatre stères ressemblent à un bûcher. Je pense à Jeanne d'Arc, celle de Dreyer, Falconetti. Un hymne à la résistance.
Je me souviens d'une histoire corse que me racontait Jean-André. Un couple d'Anglais avait été tué à coups de fusil sur une plage. On arrête l'assassin. Lorsqu'on lui demande quel est son mobile, il répond que les Anglais ont brûlé Jeanne d'Arc. Le commissaire, incrédule, lui fait remarquer que cela s'est passé il y a des siècles. Le Corse répond avec son accent inimitable : "Peut-être, mais moi je l'ai su qu'hier."
S'il faut de tout pour faire un monde, il y a aussi un temps pour tout.