J'ai eu du mal à dormir. La mélodie enregistrée hier avec Valéry me trottait dans la tête, tempo obsédant qui a tourné toute la journée dans les haut-parleurs du studio et qui me poursuit dans l'obscurité de la nuit. Le résultat est assez proche de ce que j'avais annoncé dans le billet du 20 décembre. Je livre ici la recette de cuisine qui permet à la composition musicale d'exister. Avant de m'y mettre j'étais un peu préoccupé, parce que je suis toujours inquiet de savoir si j'arriverais à faire ce que j'ai prévu, ou plutôt préentendu.
J'avais enregistré une maquette d'une minute, ce que je fais rarement, mais ça arrangeait le réalisateur, Valéry Faidherbe, alors je m'étais plié à cette contrainte puisque cela pouvait aider à convaincre notre client, le Musée des Beaux-Arts d'Angers. J'ai commencé par découper le film de cinq minutes en quatre parties. En réalité, c'est du banc-titre informatique, il n'y a que des photographies, mais les recadrages et les mouvements à l'intérieur des images donnent l'impression qu'il s'agit d'un film. Sur trois écrans ! J'ai donc cherché des timbres pour la mélodie principale, une sorte de boucle évolutive générée à partir de l'arpégiateur du V-Synth.
J'ai commencé par les instruments virtuels utilisés dans la maquette, le marimba agrémenté de quelques phrases de piano joué sur le VFX. J'ai ajouté du vibraphone en passant par le MEP4 que je n'avais pas allumé depuis dix ans. C'est un processeur de signaux midi qui permet de transformer n'importe quel événement midi (signal informatique utilisé pour faire communiquer les appareils entre eux) dans un autre. Je m'en suis servi hier pour générer des contre-chants ou créer des délais instrumentaux (la répétition est produite par un autre instrument que celui qui envoie les notes). Cette première partie donne le ton à ce qui suit : du bois pour le marimba, avec le piano pour donner l'illusion du vivant et camoufler l'aspect de musique mécanique de l'ensemble.
Après la séquence autour des cadres de tableaux, j'ai opté pour des sons de guitare et une section de cordes à l'archet utilisée parcimonieusement qui conviennent mieux au passage sur l'architecture. Le MEP4 renvoie des pizzicati de violons, pour rester toujours dans les sons aigus ou plutôt pour éviter les basses qui se répandraient un peu partout dans l'espace du SIME (Salon International des Musées et des Expositions) où sera présenté le triptyque du 24 au 26 janvier au Carrousel du Louvre.
Pour la troisième partie, je joue sur une petite palette de pizzicati en les doublant de sons de senza, des lames vibrantes en métal qu'on joue avec les pouces, et je continue avec une grosse boîte à musique, qui fonctionne bien avec les enfants présents à l'image, pour finir avec le marimba qui bouclera avec le début. Je commence chaque fois par caractériser la partie avec le timbre principal pour chercher ensuite des instruments et des effets rythmiques complémentaires. J'ajoute des cordes sur les statues, en particulier une note tenue qui couvre le raccord entre les parties 2 et 3., et une sorte de remontoir cristallin pour le moment où les enfants s'animent. Ce sont les deux grandes articulations du montage qui est réalisé à partir des dominantes de couleur : rouge - blanc - jaune - vert. La plupart du synchronisme est accidentel, toute la musique est composée pour fonctionner ainsi. J'enregistre à l'image en jetant vaguement l'œil vers le film qui défile sur les trois écrans simulés par un unique QuickTime. Si j'ai besoin d'effets son-image précis, je fais quelques raccords par la suite, mais nous n'en avons pas eu tellement besoin hier. Ça marchait comme sur des roulettes.
Je conserve le tempo de 50, mais pour la boîte à musique je m'autorise quelques libertés rythmiques. Je règle l'arpégiateur sur l'ordre des notes jouées sur le clavier ou sur un mode aléatoire. La première solution m'offre une très grande liberté, la hauteur des notes, l'ordre et la vélocité de chacune d'entre elles produisant des boucles variées. Je compose toujours plus qu'il n'en ait besoin. Il faut ensuite secouer l'arbre pour que tombent les fruits trop mûrs. Nous enregistrons dans l'ordre, terminant une partie après l'autre. Valéry est dans le studio et me donne de précieuses indications qui m'évitent les hésitations et les doutes de la solitude face aux désirs supposés du client absent. Tout se fait dans la détente. Je vais quatre fois plus vite à enregistrer et le résultat me plaît beaucoup plus. Valéry repart avec le cd dans sa poche !
Lui n'aura pas encore dormi. Au moment où je me lève pour rédiger ma petite cuisine, il m'envoie le montage terminé et sonorisé. À son tour, il va devoir se débarrasser des fantômes qui hantent notre ciboulot...