Il y a deux ans, Nicolas Oppenot m'a proposé d'assurer la direction artistique du nouvel album du chanteur mahorais Baco. J'y étais particulièrement sensible parce que Baco voulait partir des rythmes ancestraux de son île des Comores et en montrer la modernité sans sombrer dans la world ambiante. Malheureusement, les critiques du "métier" ont provoqué le doute chez mes camarades qui ont fini par se laisser bercer par les sirènes chimériques du bizness. Après un passage par Brooklyn où ils avaient choisi de mixer avec Earl Blaize, le mixeur d'Hanifah Walidah (Shä-Key), ils ont tout repris une énième fois avec David F° en noyant l'ensemble dans la réverbe et en banalisant le travail magnifique de Baco par crainte (légitime) de son originalité. Je me retirai du projet avec regret lorsque je constatai leur manque de confiance en eux-mêmes, ce qui se répercutait obligatoirement sur les conseils que je prodiguais. Baco est un travailleur acharné qui peut passer quinze heures par jour à remettre sans cesse l'ouvrage sur le métier. Je le quittais le soir à minuit, satisfait des solutions choisies ensemble, et retrouvais exactement le contraire le lendemain midi. Étant un adepte de la Méthode, j'étais incapable de suivre alors que j'étais censé précéder ! Un sentiment d'impuissance finit par m'envahir. Tout cela n'enlève aucunement le talent, la vigueur et le charisme de Baco, artiste polymorphe, auteur, compositeur, chanteur, guitariste, ingénieur du son, producteur, etc.

J'avais d'abord refusé le projet doutant de mes capacités à me glisser dans la musique traditionnelle de Mayotte, même si j'avais déjà travaillé épisodiquement pour le label Silex en son temps. Je constate alors que Baco est l'auteur de Bwana, le "tube" que je me suis passé en boucle l'automne précédent, le premier index de la compilation Network Island Blues. Je rappelle Nicolas aussitôt, rencontre Baco et flashe sur sa gentillesse et son lyrisme. Je lui présente le trompettiste Bernard Vitet qui assurera l'écriture des cordes et des cuivres. Tous deux ont heureusement continué à collaborer. Jean Morières vient jouer de sa flûte zavrila. J'assure moi-même quelques parties de guimbardes et de flûte, mais surtout j'apporte des ambiances qui replacent la musique dans son contexte géographique et poétique. Tout cela sera conservé, je l'ai entendu avec joie dans le playback diffusé hier soir pendant le très beau concert du Satellit Café où Baco avait réuni tous ses amis, une quinzaine de musiciens parmi lesquels le bassiste Abou Bass (Robert Nguimbous) et les choristes Valérie et Marie-Paule Tribord, Tifa, le rappeur Séverin... Les percussions jouent des rythmes inédits propres à Mayotte et Baco chante à gorge déployée, même si je préfère lorsqu'il y mêle sa voix de tête et son timbre de basse inouï. Ce fut une belle soirée, car la musique de Baco prend toute sa dimension dans le live. Il vient d'ailleurs de sortir un très beau CD intitulé Hadisi, distribué exclusivement en Océanie ! À vouloir trop "produire", il risque de se perdre, en confiant aux "professionnels de la profession" le soin de le sortir du lot de tous les chanteurs africains. Baco possède une originalité que j'aurais souhaité mettre en avant, avec ses percussions qui racontent la forêt où il courut pieds nus jusqu'à l'âge de 11 ans armé d'un arc et de flèches, avec sa voix exceptionnellement étendue, ses idées de modernité et son reggae qui lui sauva la vie plus d'une fois.

Sur Zangoma, le disque fantôme qui sortira un jour (mais sous quel mixage ?), il réussit à faire venir un vieux percussionniste mahorais et son disciple, le nigérian Keziah Jones, la slameuse new-yorkaise Hanifah Walidah, la tibétaine Yungchen Lhamo et bien d'autres. En attendant, on peut tenter de trouver Hadisi (chez Hiriz, la maison de production de Baco !) ou réécouter le très bel album Questions (Cobalt). Baco est un grand artiste, mais il est soumis aux risques de tous les musiciens du monde de devoir céder à l'uniformisation qu'impose la mondialisation de la culture. Le syndrome RealWorld guette tous les artistes qui souhaitent étendre leur audience au détriment de la richesse de leurs racines et de leur propre invention.