Même si je ne suis pas dupe du jeu électoral, de ses manipulations et de ses mensonges, même si je n'ai jamais pu voter pour un candidat qui défende mes idées politiques et sociales, même si la prétendue démocratie est un canular démagogique, je n'ai jamais manqué de glisser une petite enveloppe dans l'urne. La vie est beaucoup plus dure dans les pays où l'on ne vote pas. En participant à cette mascarade, je rends hommage aux femmes et aux hommes qui ont donné leur vie pour que chacun puisse exprimer sa préférence.
J'ai toujours voté contre, sans aucune illusion. Au premier tour, mes candidats les moins pires n'ont jamais récolté beaucoup de suffrages. Au fil des années, j'ai accordé de moins en moins d'importance au vote, décidant dans l'isoloir pour qui j'allais voter. La politique ne se fait plus au niveau national, les gouvernements ont perdu leur pouvoir, les décisions se prennent à un niveau européen ou mondial, et ce ne sont plus eux qui dirigent le monde, mais une petite armée d'industriels et de banquiers. Je lis les papiers qu'on nous envoie avant les élections et je vote en fonction de ce qui est écrit noir sur blanc. Je le fais consciencieusement. C'est la raison pour laquelle j'avais voté contre le Traité de Maastricht, parce que je l'avais lu. C'est la raison pour laquelle j'ai voté contre la Constitution européenne, parce qu'elle était illisible. Quel cynisme peut faire voter une population sur un texte qu'il est impossible d'assimiler ? Les présidentielles sont plus simples, on élit une personne, sur son sourire, son sex appeal, ses arguments sécuritaires... Sur une politique ? J'en doute. Aucun candidat n'aborde la question primordiale, celle de la culture, ce sur quoi est bâtie une morale, une société.
De toute façon, j'ai progressivement perdu le goût pour la politique intérieure au profit des grands mouvements historiques planétaires, optant finalement pour un recul philosophique qui me semble la seule position porteuse d'espérance. J'ai besoin d'utopies pour vivre et avancer. Le bipartisme grandissant où on oscille entre républicains et démocrates ne m'intéresse guère. Le centre gauche et le centre droit n'offrent que peu d'attrait au libre penseur. On nous a fait voter Chirac au second tour, belle manipulation lorsqu'on sait que les dernières signatures pour Le Pen venaient de maires RPR. Nombreux avaient cru au grand soir le 10 mai 81. Rabat-joie, j'avais ce soir-là dénoncé la social-démocratie. Je suis injuste, il y eut moins de flics dans les rues, la mise à mort fut abandonnée, la première année marqua un épanouissement culturel avec le célèbre 1% du budget... La différence entre les "socialistes" et la droite ? Leur politique se ressemble, à la différence que "la gauche" la pratique avec culpabilité, ce qui ajoute maladresse au gâchis et aux iniquités. Et aujourd'hui ? Sarkozy est un dangereux psychopathe. Bayrou ressemble à la France profonde, centriste, le cul entre deux chaises. Royal est tant assaillie par ses propres amis qu'on aurait envie de voter pour elle, par pur anti-machisme, si elle ne défendait un programme de centre droit. À quoi rime l'extrême-gauche éclatée façon puzzle ?
Je lirai donc les papiers qui tomberont dans ma boîte aux lettres, une urne funéraire. Je continuerai de lire le Monde Diplomatique pour tenter de comprendre à quelle sauce l'homme sera exploité par l'homme cette année. Je me pencherai sur les motivations de cette humanité cynique et cruelle qui s'auto-détruit en entraînant avec elles toutes les autres espèces qui ne votent pas. Je ferai des rêves, du moins j'essaierai encore et encore. Et comme le proclamait un slogan de 1968 sur une image de chiottes à la turc, même si les élections sont un piège à cons, "votez dur, votez mou, mais votez dans le trou".

Capture-écran de la première des 111 boucles vidéo interactives du cd-rom Machiavel (Birgé-Schmitt), 1999.