En même temps que sort le nôtre chez GRRR (!), je reçois trois disques excitants cette semaine... Valérie me dit que les nouveautés se bousculent aux Allumés avant le bouclage du prochain numéro du Journal... Une libraire de La Garenne-Colombes nous demande si elle ne pourrait pas vendre le catalogue des Allumés au premier étage de son magasin dans lequel elle souhaite créer un espace convivial... Bruno Letort m'annonce qu'il monte une boutique près de la Place Voltaire à Paris... Bernard Coutaz écrit que Harmonia Mundi n'a jamais vendu autant de cd qu'en décembre dernier... Voici donc quelques réponses à la manipulation médiatique dont la presse généraliste nous rabâche les oreilles, la mort du disque ! Le téléchargement et le piratage ont bon dos alors que les majors qui appartiennent à des holdings complexes trouvent simplement que leurs profits ne sont pas assez juteux. Pendant que Pinault fait le ménage à la Fnac avant de vendre, l'industrie du disque préfère assassiner tout un secteur culturel pour fourguer des armes ou des fichiers immatériels, le bénéfice étant autrement plus attractif, et ce avec la complicité des médias et des sociétés d'auteur qui lui emboîtent aveuglément le pas. Défendre le disque n'est pas un combat d'arrière-garde, le progrès est souvent régressif. En affirmant notre attachement à l'objet nous protégeons l'esprit, de ceux qui le cultivent et risquent de se retrouver au goulag de la pensée, direct Guantanamo sans aucune forme de procès qu'une prétendue évolution des m?urs.


Des percussionnistes Mirtha Pozzi et Pablo Cueco triturés par cinq apprentis-sorciers de l'électronique, j'ai dit ici tout le bien que j'en pensais après leur concert inaugural au Triton. Leurs Improvisations méditées - Percus électro, superbement enregistrées en studio, sont par définition un nouvelle aventure. Vingt courts index ponctuent un disque où le rythme et le timbre tricotent un pull over chamarré, une cotte de mailles cousue main (Mirtha utilise essentiellement des percussions métalliques) qui colle à la peau (Pablo est un maître du zarb). Les transformations électroacoustiques en temps réel de Nicolas Vérin, Étienne Bultingaire, Thibaut Walter, Christian Sebille et Thierry Balasse tissent un ensemble homogène de haute couture. Le défilé, sous la baguette de Max MSP et de ses cousins, est un plaisir pour les oreilles. Il donne une petite idée de ce que l'on pourrait porter cette année.


Le violoncelliste Didier Petit tempère son romantisme exacerbé par une attirance profonde pour la science. Après la chimie de NOHC, son nouveau projet, WormHoles, nous propulse dans le cosmos. Dans sa navette, il embarque le percussionniste Edward Perraud, la chanteuse Lucia Recio, le guitariste Camel Zekri et l'ingénieur du son Étienne Bultingaire. S'il chante Léo Ferré (décidément les jazzmen aiment Ferré), sa pensée désarticulée le pousse naturellement vers le monde obsessionnel de Georges Perec, une soupape de sécurité. L'interprétation des textes mériteraient pourtant un travail dramatique plus approfondi. Comme dans le disque de Pozzi-Cueco, des index courts (ici 31) structurent les improvisations en les empêchant de s'effondrer dans d'absorbants trous noirs propres au genre. En intégrant dans WormHoles des pièces écrites, une nouveauté chez Petit, il opte pour des séquences plus rock (plutôt british) que jazz (le T'es rock, coco de Ferré est à sa place !). WormHoles sonne aussi comme un équipage soudé où chacun tient son poste de compositeur-interprète, une réunion de savants de bande dessinée dignes des sept boules de cristal.


Enfin, tombe le dernier Portal, Birdwatcher, n'en déplaise aux pisse-froid qui se prennent pour des shérifs et veulent mettre la musique au garde à vous.
J'ai rencontré Michel la première fois en 1975 grâce à Bernard Lubat que je venais d'engager pour faire les arrangements des chansons d'un disque du PCF commémorant l'année de la femme ! Je ne sais pas comment j'ai réussi mon coup, mais je suis resté avec lui dans une sorte de cagibis tout le temps que défilèrent un par un tous ses musiciens. À chacun Michel donna les consignes pour le concert, devant moi, médusé. Il y avait JF (Jean-François Jenny-Clark), Humair, Joseph Dejean et Lubat lui-même. J'ai toujours aimé apprendre, ce soir-là je fus servi. Je raccompagnai en voiture Michel jusqu'à chez lui, car il avait une jambe dans le plâtre. Quelques temps plus tard, il vint écouter Défense de à la maison et il essaya sa clarinette sur mon synthétiseur ARP 2600. Son jeu générait des grappes de notes grâce à un suiveur d'enveloppe. La perte de contrôle le perturbait totalement. Contrairement à d'autres, il m'encouragea à poursuivre ma propre voie.
Jusqu'à la rencontre avec Bernard Vitet l'année suivante et la fondation d'Un Drame Musical Instantané, j'allai à tous les concerts de Michel Portal. Aucun ne se ressemblait. C'était chaque fois un émerveillement, amorcé à l'écoute de No, no but it may be... et de concerts retransmis à la radio. Contrairement à ce qu'affirme bêtement Aldo Romano, Michel a influencé un nombre considérable de musiciens, sans que ce soit forcément des clarinettistes ou des saxophonistes. Mes goûts se sont transformés comme sa musique. Je le redécouvre régulièrement. Sa fragilité, ses doutes perpétuels produisent des effets contradictoires. On ne peu hélas pas dire cela de grand monde dans le "jazz" français. Les roucoulades de macho cogneur d'Aldo ne m'ont, par exemple, jamais fait ni chaud ni froid.
Dans Birdwatcher, si le saxophoniste Tony Malaby donne la réplique à Portal, comme deux oiseaux, qui est donc l'observateur ? Est-ce Jean Rochard qui assume son rôle de producteur en choisissant les prises et supervisant le mixage en l'absence du leader ? Est-ce une question de schizophrénie ? On sait qu'être un grand soliste classique et une figure de proue du jazz n'a jamais été une situation facile pour le clarinettiste, capable aussi de faire tout un concert au bandonéon... Qu'importe le titre pourvu qu'on ait l'ivresse ! Si Portal réussit enfin son disque jazz, c'est aussi qu'il est bien entouré : d'un côté Malaby, Erik Fratzke (Happy Apple), François Moutin, JT Bates et le mythique Airto Moreira, de l'autre le Power Trio, Jef Lee Johnson, Sonny Thompson, Michael Bland. Présent partout avec sa légendaire discrétion, le pianiste Tony Hymas, assure la continuité avec brio.
Birdwatcher coule de source. Il est l'aboutissement des incartades de Portal dans les mondes du jazz, la justification de ses errances au label bleu. Le ténor de Malaby, comme le Power Trio, donne à la clarinette basse de Portal une légitimité, pas tant celle du jazz que de sa déclinaison européenne, emprunte d'un lyrisme basque et d'une musique classique dont les bois raisonnent (sic) sur nos terres plus qu'aucun instrument. Sur ces branches feuillues se perchent les oiseaux. Si leur chant me plaît toujours plus en réponse et contrepoint qu'à l'unisson, je m'envole sur les mélodies des anches tandis que toute la forêt s'ébroue, percussions sifflantes et craquements swing.