À Marseille, arrivés à bon port à La Friche Belle de Mai, nous sommes surpris par les visiteurs qui se pressent comme des sardines devant l'entrée de la dernière œuvre de Nicolas Clauss. Il faut donc faire la queue pour assister au spectacle projeté sur trois grands écrans dans la salle obscure accueillant Or not toupie. Le public n'en sort qu'après y être resté beaucoup plus qu'à l'accoutumée. Nicolas s'en étonne, mais a-t-on envie de se réveiller lorsque l'on fait de beaux rêves ?
Dans la langue de Shakespeare, la conjonction de coordination disjonctive or, indiquant une alternative, réfléchit la générativité aléatoire des médias collectés par l'artiste. Les dessins griffonnés par les enfants, leurs jouets et leurs grimaces affrontent la voix des adultes évoquant leurs peurs. Les gamins facétieux les singent, va-et-vient que la négation not tourne ici en interrogation fondamentale, un terme ayant été subtilisé au jeu de mots qui donne son titre à la mise en abîme. Ainsi la toupie existentielle perdure sans autre remontoir que la magie informatique régissant les trois ordinateurs synchronisés. La boucle infinie constituée de centaines de témoignages et d'événements graphiques et sonores nous trouble tant la plongée dans le passé annonce l'avenir.


Sur l'écran, la chute des feuilles s'oppose à la croissance. Le mouvement des objets qui n'en finissent pas de tomber contredit la nécessité de grandir. Devient-on jamais adulte ? Comment les enfants perçoivent-ils la vieillesse et la mort ? Quelle mémoire résiste aux temps qui se superposent ? Le synchronisme accidentel organise les questions en composant de magnifiques tableaux qui bougent. La chambre noire se recouvre d'une pâte claussienne faite d'objets récupérés auprès de ses nombreux interlocuteurs, de films tournés avec eux, collage griffé, flouté, secoué que l'art participatif du peintre fait exploser sur l'écran de nos vies.
Quel que soit le temps vers lequel il se tourne, chacun retrouve ses petits, celui qu'il fut ou celui qu'il deviendra. À la fin du vernissage, les spectateurs s'assoient en tailleur les uns contre les autres pour se laisser envahir par le rêve. Leur nombre fait miroir tandis que dehors la nuit reprend ses droits. Hamlet fut jadis un enfant.