Alain a enfin été transplanté d'un nouveau rein. En dialyse depuis plus de trois ans ("4500 heures passées avec des patients détestables, geignards, doucement résignés, agressifs avec celui qui ne rentrait pas dans le jeu de l'assistance infantilisante...", m'écrit-il), les séances se suivant au rythme d'une fois tous les deux jours, il "commençait" à déprimer salement ! Sans rentrer dans les détails, il ne pouvait boire aucun liquide, ressentait "des modifications en profondeur de son métabolisme, perte de libido, fatigue permanente plutôt que souffrance, à part les crampes musculaires, le mal de dos, etc.". Mon ami ne pouvait quitter Paris sans qu'il y ait un centre de transfusion correct à proximité et surtout ne pas s'éloigner de son téléphone portable sans prendre le risque d'être absent lors d'un coup de fil lui annonçant que l'on a enfin trouvé un donneur. La liste d'attente est très longue et le rein doit être prélevé immédiatement et transplanté dans un délai idéal le plus court possible (ischémie froide) jusqu'à vingt-quatre heures. L'opération en dure environ quatre. Retour global à la normale dans les trois mois sauf problèmes de rejet intersticiel (traitable) ou chronique (retour à la dialyse). La première fois, il y a quinze ans, il avait hérité du rein d'une jeune fille. Cette fois, il apprend qu'il doit son nouvel organe à un homme de 35 ans mort par "autolyse (arme à feu)".
Si le suicide de l'un permet à l'autre de vivre, voilà qui apporte une lumière fort différente sur les êtres qui choisissent de se supprimer. Déjà que je n'avais aucun jugement moral sur le suicide, cet exemple tendrait à lui conférer des lettres de noblesse, à condition que les candidats au trépas donnent leur corps à la médecine, ultime et paradoxal geste civique pour une société dans laquelle ils ne pensent plus avoir leur place.
De même, la loi interdisant la vitesse sur les autoroutes réduit le nombre de morts par accident de la route, mais diminuent les chances de vie de malades qui n'ont souvent commis aucune folie pour se retrouver handicapés. Il y a en effet beaucoup moins de donneurs qu'auparavant. Ce serait pourtant juste que les fous du volant aient le choix de s'envoyer dans le décor en sauvant ainsi des vies humaines. Oui je sais bien que les suicidaires routiers sont aussi des assassins, mais cela devrait actualiser les statistiques de manière plus objective... En ces périodes de crise du pétrole, il serait de toute façon raisonnable de prendre le train plus souvent...
Dans tous les cas, en donnant son corps à la médecine et en autorisant le prélèvement d'organes en cas de mort accidentelle, on sauvera autant de vies qu'il en disparaîtra, voire plus, puisqu'un même donneur pourra sauver plusieurs patients affectés de dysfonctionnements différents !
Cette histoire montre qu'il y a une vie après la mort, même en petits bouts... Rien ne se perd, rien ne se crée. Tout n'est qu'affaire de décomposition et recomposition. Une sorte de Lego atomique dont les issues nous échappent, mais qui recale nos angoisses à l'échelle de l'univers, un petit rien dans un grand tout.