Lire au cabinets est le titre d'un opuscule d'Henry Miller écrit en 1952. Prétexte à d'intéressantes réflexions sur la lecture, les cinquante pages de ce petit livre rose (ed. Allia, 6,10€) interrogent le temps que pour la plupart nous ne prenons pas. Il monte en épingle notre solitude nécessaire et le besoin de faire plusieurs choses à la fois. Certaines peuvent sembler stériles comme choisir des ouvrages sans réelle consistance pour nous accompagner dans l'expulsion de nos selles, mais lire en mangeant pose des questions du même ordre. Pour mon propre usage, je retiens essentiellement que j'aurais préféré, n'en déplaise à l'auteur, me pencher sur son ouvrage, chapitre 13 des Livres de ma vie, assis sur la rondelle plutôt que suant au soleil. Rien ne me conforte plus que de choisir le livre exact qui rime avec l'activité présente, le paysage traversé, l'humeur du moment. Nicolas emporta Les enfants de minuit dans son périple indien comme je relisais Sophocle et Platon dans les îles grecques. Il en est de même pour mes accompagnements musicaux, en voiture ou à la maison ; je choisis du rock dans les grands parcs américains, de la musique bretonne au Finistère, du rap lao à la frontière chinoise, le premier mouvement de la première symphonie de Charles Ives si je suis totalement déprimé, Dario Moreno pour un réveil musclé, etc. Il n'y a que le cinéma que j'aborde à contrepied pour briser ma journée marathon et me plonger dans un autre monde, quasi schizophrène, encourageant la passivité. Quant aux cabinets, j'alterne la lecture des magazines avant de tirer la chasse et les ficher à la poubelle et la respiration ventrale, sachant bien qu'il n'existe aucun rapport de cause à effet entre la lecture et la défécation. Leur seul point commun est une pratique exigeant détente et concentration.