Il y a comme un témoin de surchauffe qui s'allume dans son ciboulot. Sur quoi a-t-il mis le doigt lors de son passage chez... Il n'ose plus prononcer le nom du célèbre fabricant d'armes, fournisseur de l'État français, qui d'autre ? Il ne préfère pas y penser. Quiconque est un peu au fait de ce qui se trame développerait la même parano. Sa mise à l'écart valait peut-être mieux pour sa santé. D'autres y avaient laissé la vie. Les nouvelles technologies occupent beaucoup plus de place que la Déesse veut bien l'avouer publiquement. C'est comme cela qu'il appelait déjà son nouvel acquéreur-employeur dans l'intimité, ou parfois Kâlî, pour ne pas le nommer... Pourquoi tout ce secret que d'aucun qualifierait de polichinelle ? Mais cette fois c'était du sérieux. L'épouvantail ne pouvait être une coïncidence. La référence à l'Empereur, nom de code de l'affaire dit des cargos russes, était explicite.
Pas le choix. Max retourne explorer la maison. On fait avec ce qu'on a. Même si ses boyaux tournent bondage autour de ses viscères. La peur au ventre, il remonte la pente en suivant ses traces à l'empreinte qu'ont laissée ses souliers dans la boue collante du chemin. Ses semelles sont faciles à identifier, nettement plus évasées qu'à l'accoutumée. Voilà des années qu'il ne porte plus que des chaussures anatomiques, une ou deux pointures de plus que tous les clampins qui se martyrisent les arpions comme dans la légende des petites Chinoises. Les orteils finissent par se chevaucher. Se focaliser sur ses doigts de pieds en éventail et sur sa voûte plantaire délicatement épousée lui arrache un sourire. Il n'a pas le temps d'en profiter que déjà apparaît la cabane derrière le rideau d'arbres. C'est ça.
Rien ne ressemble à la nuit. Tout est conforme, rien n'est pareil. La porte est restée grande ouverte comme il l'a laissée. La trappe s'ouvre sur le néant comme une invitation obscène. L'absence de lumière rend le trou plus menaçant que la veille. Quelqu'un aura éteint. On n'y voit goutte, mais celles que l'on entend établissent la hauteur du puits. La barbe en écharpe, Max descend prudemment le long de l'échelle. Des veilleuses éclairent les couloirs au strict minimum. Il y a beaucoup plus de portes que de murs. Toutes sont solidement cadenassées. Sauf une qui ne résiste pas à son coup d'épaule.
Contrastant avec la propreté du corridor, la geôle est chaude et humide. Ses murs de salpêtre sont couverts d'outils mal entretenus. Sur le sol de terre battue sont jetés pêle-mêle des chaînes et des fers. Dans un placard est empilé un stock de couches-culottes dont la date de préemption ne signifie plus rien. Faisant bouger un panneau, Max découvre un astucieux jeu de miroirs apportant la clarté jusque dans ces profondeurs. Le soupirail éclaire la tête d'un animal en décomposition au milieu d'une fameuse collection de poisons. Max ne sait pas s'il doit tenter de forcer les autres portes ou prendre la poudre d'escampette. Sur l'une des étagères il a reconnu l'exemplaire du Monde ouvert à la page qui annonce l'accident de Philippe.

N.B. : le premier chapitre a été mis en ligne le 9 août 2009, inaugurant la rubrique Fiction.