En sortant de chez mon magicien préféré, celui qui me remet d'aplomb sans y toucher, nous sommes allés voir l'exposition du cinquième étage du Centre Pompidou consacré aux photos des surréalistes. Si La subversion des images est sous-titrée "Surréalisme, photos, film", c'est surtout par ses images fixes qu'elle surprend, par leur profusion et leur richesse, et par l'écho qui rebondit sur notre époque. Les collages et autres cadavres exquis sont les grands-pères des mix et remix, samples et détournements. L'iconographie photographique s'est déplacée dans le camp du son (!). Pourtant l'amusement que prend toute cette bande de chenapans à jouer leurs tours pendables à la société ne ressemble pas à la superficialité de la plupart des artistes contemporains. Les surréalistes voulaient "changer la vie" et leurs facéties de garnements débordant d'imagination ressemblent plus à la période des années 60/70 qu'à notre morosité frileuse. En sous-pesant le somptueux catalogue de 480 pages, je me demande tout de même s'il n'est pas plus confortable d'apprécier les reproductions photographiques dans son salon que d'arpenter les neuf salles pour en savourer tout le jus. La scénographie est simple, le blanc s'imposant encore une fois avec quelques effets de miroir sur tranches, mais nombreuses œuvres basses sont encore destinées aux nains et la fatigue m'assaille avant que j'arrive au bout du petit marathon. Préférant mon sofa aux banquettes rondes sans dossier, je survole et butine l'expo pour me goinfrer, rentré à la maison.
Les neuf films (Buñuel, Dali, Richter, Cornell, Man Ray, Germaine Dulac et Artaud, Roger Livet, etc.) sont extraordinaires, mais tout cinéphile en aura déjà fait ses choux gras. Reprenons donc la visite en tournant les pages. 1. "L'action collective" ne peut que m'enchanter tant elle excite l'esprit communautaire qui m'est cher. Portraits de groupes avec femmes (rares...) 2. (et souvent reléguées à leur nudité plastique)... "Le théâtre sans raison" pointe la folie comme mot d(e dés)ordre. Jamais n'abolira le hasard. 3. "Le réel, le fortuit, le merveilleux" nous replonge dans le Paris de jadis que probablement aucun de nous n'a connu et qui porte déjà à nos yeux les habits surréalistes. Au tranchant parfait. Mannequins et statues. 4. "La table de montage" héritée de Lautréamont engendre toutes sortes de rimes impossibles qui vont chercher leur non-sens dans la psychanalyse, hélas ici quasi absente. Ça colle pourtant. 5. "Pulsion scopique" renverse les échelles et suggère un autre monde qui est pourtant du nôtre. L'œil de verre du voyeur se rince au cabinet noir interdit aux enfants et pour cause. Ce ne sont pas les seules images qui nous surprennent, car partout on voit bien qu'on ne s'embêtait pas. Le réel plus surréaliste que nature. 6. "Le modèle intérieur" esquisse donc ce qui fait défaut, à savoir les arrière-pensées de ce groupe d'empêcheurs de tourner en rond, son inconscient esquivé. Fermez les yeux une fois pour toutes. Tout est à voir. 7. "Écritures automatiques" donne son sens à la future indétermination qu'on qualifie trop souvent aujourd'hui d'aléatoire. Miracles de l'instant. Le mouvement arrêté. 8. "Anatomie de l'image" convoque les recettes alchimiques d'alors, on brûle, on gratte, on frotte, on renverse... Mais le corps reste obsession, l'éros caché enfin révélé par la plaque photosensible. 9. "Du bon usage du surréalisme" montre que toutes les avant-gardes comme tous les révolutionnaires sont récupérés et permettent au système qu'ils attaquent de perdurer. Les poils de Dora Maar, les hippocampes de Painlevé, la forêt de brosse à dents du jeune Robert Bresson, les larmes de Man Ray font réclame.
Avant, on se sera délecté de Breton, Éluard, Desnos, Prévert, Bataille, Char, Léo Malet, Ernst, Bellmer, Brauner, Magritte, Ubac, Brassaï, Atget, Cartier-Bresson, Kertész, Eli Lotar, Jacques André Boiffard, Paul Nougé, Maurice Tabard, Jakob Tuggener, Vane Bor, Roger Parry, Wols, Manuel Alvarez Bravo, Jindřich Štyrský, Georges Hugnet, Yamanaka Tiroux, Wilhelm Freddie, Miroslav Hak, Artür Harfaux, Benjamin Fondane, Claude Cahun et Moore (Suzanne Malherbe), Valentine Hugo, Suzanne Muzard pour terminer cette liste par quelques filles perdues puisque les femmes ont tant inspiré cette bande de joyeux drilles qui ont révolutionné l'histoire de l'art et par là-même la vie, notre vie.

Photo : Françoise Romand