Elle avait espéré qu'avec le temps, va, tout s'arrange, que les petits garçons deviennent des hommes, qu'à force de bomber le torse ils grandissent, qu'au contact des femmes cesse leur manège enfantin, qu'ils pensent un peu moins avec leur queue, que les synapses s'accrochent aux wagons et qu'ils apprennent à partager avec leurs compagnes. Mais c'est pisser dans un violon, et Ilona sait le faire debout en visant les ouïes à en inonder l'âme. Elle les savait lâches, douillets et cossards. Elle les avait découverts suicidaires, masos et butés. Pour avoir entendu tant de conneries sur LA femme, généraliser à son tour ne l'ennuie pas, puisque les "conneries" ne peuvent sortir que de son sexe, si depuis des siècles les grands hommes sont tous des mâles et les filles ne sont que des mères et des putains. Tous ces lieux communs l'avaient poussée à s'engager. Pas par manque de féminité. Certainement pas. Cette pute en a à revendre et sans mâcher ses mots. Pour fuir la démission de toutes les Lysistrata et comprendre le pourquoi du merdier qu'on lui a légué, ça oui. Elle est jolie, mais les bêtes en rut se feraient même un radiateur. Elle est maline, à les faire fuir. Elle est sympa, ils avaient fini par l'adopter en oubliant qui elle était. À force d'enfoncer le bouchon de son féminisme dans leur trou de balle d'homos refoulés, elle avait même réussi à en faire flancher plus d'un. Elle ne baise que s'ils acceptent de se faire mettre. Ils aiment tous ça quand c'est elle qui opère. Leur brutalité n'est que le rempart de leur fragilité et de leur inaptitude. Comme les timides qui ne savent plus s'arrêter de parler. Comme ceux et celles qui prétendent le contraire de ce qu'ils désirent par peur de l'exprimer. Elle repère les gars attirés par les hommes à leur narcissisme, fascinés par leur bite, et à leur haine des pédés qui les travaille. Ceux-là, elle les laisse sur le bas côté parce qu'ils n'ont jamais réussi à la faire jouir. Elle préfère les sensibles qui se posent mille questions, les torturés du ciboulot qui font des rimes pour ne pas bégayer, les frères de combat qui ne craignent pas pour leur virilité et savent jouer de leurs faiblesses.
Un truc la chagrine chez Max, son âge. Elle aurait préféré tomber amoureuse d'un freluquet, pratiquer à son tour le détournement de mineur, au moins cela aurait renversé les usages. Y en a marre des quinquas, sexas et tutti quanti bedonnants, grisonnants, qui se tapent des minettes ou simplement des femmes plus jeunes. L'inverse passe mal. On est pourtant tous et toutes le miroir de l'autre. Emballer une jeunesse vous donne des allures printanières, c'est du moins l'image que le voyeur se fait de lui-même. Il a besoin de s'aimer. Et de semer. Ilona n'a pas d'enfant et elle n'en aura jamais, la machine est cassée. C'est rassurant pour les vieux qui la draguent. Elle est triste lorsqu'elle y pense et elle y pense souvent. Elle restera une fille, jamais une mère. Son allure juvénile tient à cette déception. La fantaisie de son adolescence ne s'est jamais envolée. Elle est tombée amoureuse de ce type hirsute à l'instant même où il est apparu dans son champ de vision. Avant de tourner la tête, elle l'avait déjà senti. Le bruit du tonnerre avait précédé la foudre. Le paradoxe l'avait renversée. Sa colère de femme se fond maintenant dans les bras qui l'étreignent. Elle ne se dilue pas. Il faudrait faire quelque chose de grand pour venger toutes les femmes qui ont sacrifié leur vie pour leurs époux. Elle rêve d'être une grande femme et qu'elle marche devant, avec d'autres de son sexe, pour montrer aux hommes que le courage ne se mesure pas à en avoir ou pas.

Rappel : le premier chapitre a été mis en ligne le 9 août 2009, inaugurant la rubrique Fiction.