On pouvait s'y attendre. Impossible de se connecter depuis les granges. J'ai beau tenir mon MacBook à bout de bras vers le ciel comme si c'était quelque divinité solaire, tournant sur moi-même comme un derviche, le réseau Orange fait la sourde oreille à mes incantations informatiques. Lorsqu'il capte enfin un peu de signal en écho, sa vitesse est préhistorique, récupérant seulement des ondes ancestrales qui existaient peut-être avant l'avènement de l'espèce humaine et de ses appendices technologiques. Je prends le prétexte de descendre au marché dans la vallée pour phagocyter quelque liaison sans fil luchonaise et poster ce billet.
Le matin, je prends des photos depuis la terrasse qui surplombe le panorama. Le temps de compter jusqu'à 1, le brouillard s'est levé. Celui de tourner la tête, il a déjà envahi le paysage. Je ne sais plus où donner de l'objectif. Je choisis une image banale où l'on aperçoit la cabane du berger. J'ai offert à Christian le livre qu'Antoine m'avait conseillé et que j'ai terminé sur la couchette du train Paris-Toulouse. La Course au mouton sauvage semble tout indiqué pour ce lecteur assidu qui dévore les livres en gardant son troupeau, jusqu'à 1500 têtes l'été. En acceptant l'ouvrage de Haruki Murakami, en japonais Murakami Haruki, un des auteurs préférés d'Antoine et je crois en comprendre la raison, il prend le risque de cette possession. Il a lui-même un mouton très spécial dont il n'a pas encore dit mot. Cet anarchiste trouve également illogique de laisser ses deux chiens rabattre les brebis qui se font la malle alors que ce sont celles qui lui ressemblent le plus. Christian, dans le plus grand dénuement, vit loin du monde contemporain qu'il connaît par les livres. Il ignore le confort moderne ou la propriété. Son esprit aiguisé est d'une autre ère, d'un air malin qui ne mâche pas ses mots. Tous ceux qui l'a appris sur la ligne de front de la littérature.