Huit ans après Déviation, le violoncelliste Didier Petit sort son second album solo chez Buda Musique. La prise de son acoustique pose la voix à l'arrière plan comme si on était dans la chambre. L'électricien Hendrix avait le même rapport. Petit remplace le chewing-gum par le miel et le Marshall par l'archet. Et puis il y a l'âme, beaucoup d'âme. Deux âmes qui font corps. Don't explain est sous-titré 3 faces pour violoncelle seul. C'est un mensonge. Ils sont au moins deux. « Un mensonge qui dit toujours la vérité » ? Didier aime baratiner. Il dit n'importe quoi et refuse de s'expliquer sérieusement. Voici un romantique camouflé qui ne peut retenir son bras et sa gorge cingler cette vérité. « Pas toute, parce que toute la dire, on n'y arrive pas... Les mots y manquent... C'est même par cet impossible que la vérité tient au réel. » dit le psychanalyste et la musique de résoudre l'équation posée. Voilà un camouflet romantique qui sort la musique de ses gonds pour laisser l'air entrer par la porte et s'envoler par la fenêtre, jusqu'aux étoiles. Le CD est inséré dans un petit livre de 48 pages illustré d'images de Théo Jarrier prises pendant l'enregistrement en studio à Minneapolis et de photos oxydées de Jean Yves Cousseau, auxquelles se joignent un Petit entretien et des textes de Francis Marmande et Jarrier.
Vendredi soir, Didier Petit donnait le coup d'envoi au 20ème anniversaire du label in situ. Théo Jarrier avait ressorti sa batterie du grenier et malin celle ou celui qui aurait deviner que cet ancien cogneur de Metal saurait propulser le quatuor vers le c?ur du soleil tandis qu'Étienne Bultingaire fignolait les contrôles aux manettes de son engin électronique. L'écrivain Hervé Péjaudier structura le récit par des saynètes vocales aussi tragicomiques que virtuoses.

Je n'achète plus beaucoup de disques, mais je reste fidèle à certains artistes comme le Kronos Quartet, Robert Wyatt, Michael Mantler, Brigitte Fontaine ou Wyclef Jean. Je cite les vivants. Je n'évoque ici pas celles et ceux qui ont la gentillesse de m'envoyer leurs nouvelles créations. Ceux qui nous ont envoûtés bénéficient toujours d'un certain crédit.
John Zorn produit beaucoup trop de disques pour qu'un consommateur puisse suivre le rythme de ses sorties. Il a mis les banques dans sa poche, pas nous. De temps en temps, je craque pour une de ses nouvelles productions, plus roublardes les unes que les autres. Femina est un disque agréable qui prétend être un hommage aux femmes artistes, mais les six interprètes féminines ne peuvent nous empêcher de douter de la sincérité du compositeur en mal de prétextes. À force de trop en faire, John Zorn dilue son style en faisant feu de tout bois. Cela finit par ressembler à des produits joliment marketés pour la boutique Colette. Attiré par la pochette, je m'étais laissé prendre à la molle surf music de ses Dreamers. Son opportunisme est devenu lassant. Parmi les centaines de disques qu'il a produits, sa meilleure pièce reste pour moi celle qui le lança, contribution au Godard ça vous chante ? chez nato sous la houlette de Jean Rochard, à qui l'on doit justement la production exécutive du disque de Didier Petit !
Wyclef Jean, ex-Fugees, n'a plus l'allant de ses chefs d'?uvre, The Carnival ou The Ecleftic, et si la première écoute de Toussaint St Jean déçoit forcément, la seconde révèle tout de même quelques agréables moments. Peut-être que ses dernières ?uvres sont plus destinées au public haïtien que les luxueuses productions que nous tentâmes d'user sur la platine... Comme tous les rappeurs, Wyclef a le mérite de relater les histoires de sa communauté et de le faire avec honnêteté.
Pour terminer ma séance d'écoute, je reste interdit par la terrible doom de The LumberJack Feedback, un rock très noir où il n'y a plus l'ombre d'un espoir, le groupe lillois faisant bloc sans s'autoriser aucune envolée soliste. Ici comme ailleurs, la musique réfléchit son époque et ceux qui la traversent, débordant du cadre esthétique pour nous renvoyer l'image sociale qui lui sert de toile de fond, éclaboussant l'audience de ses accords ou de ses désaccords.