Il est toujours passionnant de regarder le cinéma de divertissement pour les fantasmes d'une société qui s'y réfléchit au jour le jour. L'an passé, par exemple, nous avons vu nombre de films américains montrant que la guerre en Irak s'enlisait dans les sables de la terreur, à l'instar des révélations d'Abou Ghraib, et les films de science-fiction mettaient en scène des robots ou des androïdes se fondant dans l'humanité, interrogeant les futurs enjeux technologiques et notre société à deux vitesses.
J'ai récemment vu trois films qui n'auraient pas pu se tourner avant l'arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche, Precious, The Blind Side et My Name is Khan. Les deux premiers ont pour héros un adolescent noir, imposant par la taille ou le poids, qui réussit à se sortir de sa condition de défavorisé grâce à ses talents cachés et l'adoption sociale dont il bénéficie. Le troisième est un succès indien de Bollywood qui se déroule aux États Unis où un jeune autiste musulman veut passer le message au Président qu'il n'est pas un terroriste. Les deux premiers films auraient plu à James Brown qui clamait haut et fort "I'm black and proud" (je suis noir et j'en suis fier). Il s'agit évidemment de rendre à la communauté afro-américaine sa propre estime. Precious a beau avoir été victime des pires sévices familiaux dès sa plus petite enfance, il n'est jamais trop tard pour décider de sa vie et sortir de la misère, ici en apprenant à lire. Dans différents rôles on y croise Mariah Carey, Lenny Kravitz, Mo'Nique (qui reçut l'Oscar du second rôle) et l'énorme Gabourey Sidibe, tous plus ou moins liés au monde musical, et bons comédiens.
The Blind Side rappelle aux États-Uniens les valeurs chrétiennes qui sont inscrites dans la Constitution. Le rôle de la bourgeoise désœuvrée qui adopte un gros noir plus malin qu'il n'en a l'air valut également à Sandra Bullock un Oscar de la meilleure actrice. Le cinéma américain a toujours su aller au nerf du sujet là où les Français n'ont jamais eu cette franchise et cette réactivité pour aborder de front les questions épineuses de leur politique. Ce genre de cinéma populaire est honni par les Cahiers du Cinéma qui encensent Martin Scorcese ou Werner Herzog, réalisateurs qui servent pourtant les mêmes plats réchauffés dans la même sauce dégoulinante de cordes en sublimant la violence par des é-faits divers mettant en scène des flics qui ont pété un câble. Même si ce sont des films tout à fait honorables, les ficelles de Shutter Island sous-tendent un rapport à la psychanalyse mécaniste et Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle-Orléans, avec l'excellent Nicholas Cage dans son rôle de policier à moitié pourri, justifie les colères camusiennes contre les sartriens. Entre les sempiternels polars mâles et les mélos bien pensants pour les filles, franchement que justifie d'encenser les uns pour dégommer les autres, si ce n'est le sexisme des critiques de cinéma ?


Le troisième film, My Name is Khan, est le plus surprenant. Noyé dans un sirop musical épouvantable comme n'importe quel film américain, il obéit aux lois du genre Bollywood en sacrifiant pourtant les scènes chorégraphiées à son immersion dans l'actualité des États Unis. Il a beau être atteint du syndrome d'Asperger, forme particulière d'autisme considérée plus comme une différence qu'un handicap, et avoir vécu la brutalité des Hindous à l'égard de sa communauté, la vie commence plutôt bien pour le jeune Musulman surdoué. La seconde partie tourne évidemment au drame, ici lié à la ségrégation religieuse post-11 septembre et, Katrina passée, le film se termine en happy end par la rencontre de Khan avec le Président des États Unis. Prononcer ख़ान en roulant un r guttural et surtout pas Can comme dans Yes We Can !
Ces trois films populaires racontent la difficulté de grandir dans un pays où pullulent l'analphabétisme, l'obésité, la violence et le racisme en particulier. Ils offrent pourtant un mince espoir là où les pseudo-intellectuels condamnent la plèbe à s'entretuer dans des ballets esthétiques morbides où les héros sont toujours aussi pitoyables. La beauté des images ne peut camoufler la vacuité des intentions, pas plus que celles-ci n'évacuent la culpabilité.
Quant à la qualité des uns ou des autres, l'utilisation répugnante de la musique qui y règne devrait leur mettre la puce à l'oreille : quoi qu'il arrive on reconnaît une daube à ce qu'elle y baigne. Les films seraient meilleurs si les cinéastes s'interdisaient ce fast-food liquide, les obligeant à faire passer les émotions d'une manière moins conventionnelle et formatée. Quitte à mettre de la musique, fasse qu'elle agisse en complément et renforce la dialectique !