Je me demande pourquoi la plupart des disques produits par le célèbre label allemand ECM me font un effet si dépressif ou soporifique. Cela peut s'avérer une qualité si l'on souhaite s'abstraire de ce monde de brutes où la vitesse est le maître mot. Les musiciens semblent travailler pour un salon de massage ou un stage de relaxation. Le son rond, réverbéré et hygiénique qui a fait la renommée du producteur Manfred Eicher et qui ravit tant de consommateurs n'est évidemment ni ma tasse de thé ni mon verre de schnaps. Pourtant les artistes convoqués ont le mérite de sortir du lot commun, aujourd'hui souvent issus de l'Europe de l'Est, des pays baltes ou nordiques. Les jazzmen m'ennuyant de plus en plus, engoncés dans trop de clichés, embaumant la musique vivante dans un sarcophage plus propice à un musée des antiquités, je me tourne vers des compositeurs contemporains sans étiquette aussi marquée. Ainsi ai-je eu envie de réécouter Kremerata Baltica du violoniste letton Guidon Kremer ou la quatrième symphonie du néo-classique estonien Arvo Pärt dont l'écriture minimaliste, pour ne pas dire simpliste, peut convenir à certains moments d'abandon primal, peut-être grâce à la direction du Finlandais Esa-Pakka Salonen. Même le joli hommage aux musiques de commande du compositeur georgien Giya Kancheli finit par me donner envie de zapper pour ne pas sombrer dans la neurasthénie, malgré la présence du bandéoniste argentin Dino Saluzzi. De même, le disque du guitariste Steve Tibbetts, le duo Marylin Crispell et David Rothenberg ou le Quiet Inlet qui réunit Thomas Strønen, Ian Bellamy, Nils Peter Molvær et Christian Fennesz ne me laissent pas de marbre, mais le contact de la pierre reste froid. Les disques sont à l'image de leurs pochettes, formatés au goût du patron. Presque toujours planants, ils finissent par sonner trop souvent impersonnels.
Il me faudra donc attendre les prochains albums de Michael Mantler dont je suis un des rares fans ou Heiner Goebbels que j'admirais déjà lorsqu'il était improvisateur, compositeurs autrement plus vifs et vivifiants, pourtant fidèles à ECM dont la réputation continue à m'étonner, à moins qu'elle ne soit le reflet exact de notre époque, molle et désespérée. Comme un adieu aux armes.