Retourné m'acheter Nique la France pour mon anniversaire, Nicolas demande au libraire de La réserve à Mantes combien il en a vendus. Quatre, répond-il fièrement. Sauf que c'est mon copain qui lui avait pris les quatre ! Douze euros pour un petit livre plein de photos le majeur en l'air, de textes où est revendiqué que décidément "exister, c'est exister politiquement" et un CD 12 titres où le rap engagé s'accompagne à l'accordéon, à la guitare et aux percussions, ce n'est plus la question de savoir si c'est donné, la nécessité de soutenir une initiative aussi salutaire que jubilatoire se dessine au fil des pages et des plages.
Z.E.P., pour Zone d'Expression Populaire, dénonce avec aplomb et intelligence l'image que le pouvoir donne des jeunes des quartiers. Les textes de Saïd Bouamama, sociologue et docteur en socio-économie, fustigent l'identité nationale et la fabrication d'un ennemi de l'intérieur, la nostalgie coloniale et la politique de la menace, l'islamophobie comme arme de destruction massive, les exemples de réussite et les fayots de la république, ils révèlent l'importance de la question palestinienne et revendiquent la légitimité de la révolte des quartiers et leur impatience. Les dizaines de doigts d'honneur photographiés par Pitinome et Pib sont marrants, mais leur systématisme n'a pas la force des paroles des chansons du disque.
L'album Devoir d'insolence est téléchargeable gratuitement sur le site de Z.E.P., mais il est indispensable de soutenir une si enthousiasmante initiative en achetant les 144 pages de papier et la galette en plastique (Darna Edition). Si la musique dresse un pont entre le rap et la chanson française, les paroles de Z.E.P. sont mieux aiguisées que tous les discours. C'est dense. Vous vous surprendrez à fredonner "T'as vu la gueule du patrimoine, on a foutu le bordel avec nos tronches de polygames, ça jase..." Le p'tit beur qui rape sur du musette raille le paternalisme et le racisme dominants. Les refrains entonnent "Nique la France et son passé colonialiste, ses odeurs, ses relents et ses réflexes paternalistes, nique la France et son histoire impérialiste, ses murs, ses remparts et ses délires capitalistes", mais ce sont les couplets qui font sens en contant les détails d'un quotidien révoltant. Pas de baratin !, ils résistent avec les moyens du bord. Les documents sonores et les citations arabes et kabyles sont remarquablement choisis. Leurs mots sont plus justes que les miens. Ça sautille comme une fête, parce que la résistance, contrairement au renoncement, est euphorique. Si vous désespérez devant l'inanité des paroles de la chanson contemporaine, écoutez le langage de la rue, les gars de Z.E.P. s'y entendent et ils nous redonnent l'espoir qu'aucun tribun n'est plus capable d'insuffler !