Hier matin, discutant au téléphone avec Sacha Gattino, je suggérai de monter une agence de conseil en design sonore, généraliste. Entendre par là qu'il existe un potentiel considérable en ce domaine, tant d'entreprises produisant du son sans s'interroger sur une amélioration possible des conditions de travail, de consommation ou de création. Il y aurait tellement de lieux d'intervention qu'une armée de designers aurait de quoi travailler jusqu'à ce que mort s'en suive. Il ne s'agirait pas forcément d'intervenir matériellement, mais dans un premier temps de se pencher sur la question, occultée, méconnue, inexistante, alors que toute production sonore mériterait de la poser. Si le bon sens du système D ne suffit pas, des frais supplémentaires pourraient donner de l'ouvrage à maints corps de métier en rendant la vie franchement plus supportable, voire agréable à tous les usagers.
Neuf productions artistiques sur dix pâtissent d'avoir escamoté la question. Je souffre au cinéma où les dialogues, les bruitages utiles et le sirop musical illustratif envahissent l'espace sonore, au théâtre dont les haut-parleurs diffusent parfois une ambiance artificielle où l'on entend plus le matériel que ce qui est diffusé, dans les lieux publics où le vacarme urbain n'a rien à envier aux ambiances musicales censées couvrir le bruit des voix et aux décibels des magasins pour jeunes, je souffre dans la ville où rien n'est pensé pour les oreilles à de très rares exceptions près, je souffre que tout le monde s'en fiche pour avoir culturellement assimilé le son comme la cinquième roue du carrosse, un truc genre post-prod dans le meilleur des cas... La fréquence, le rythme, la couleur, l'harmonie, le renforcement d'un caractère, la douceur d'une détente, l'appel, l'alarme, l'illusion sonore pourraient changer nos vies.
Rêvons d'avoir à jouer le rôle de sound doctor comme il existe de plus en plus de script doctors. Et comme le rappelait Sacha, commençons par le silence.

Illustration : Moiré, œuvre interactive de Frédéric Durieu mise en musique par Jean-Jacques Birgé (1997-2001)