Étonnant comme l'on peut être sensible ou pas à un film, un livre, une musique !
J'ai bien aimé l'énigme du polar Requins d'eau douce d'Heinrich Steinfest (Carnets Nord), ses ressorts inattendus, mais je suis resté en retrait de son style sec. Je me pose toujours des questions sur la littérature étrangère qui ne me préoccupent pas lorsque les auteurs sont francophones. Cette frustration vient-elle de l'original ou de sa traduction ? Sur ma table de nuit m'attendent les textes sur le cinéma d'Alain Badiou (Nova Éditions), les entretiens avec Werner Fassbinder (G3J) et David Lynch (Cahiers du Cinéma), plus des romans qui m'obligeront peut-être à me poser, Marina de Carlos Ruiz Zafon, Le quai de Ouistreham de Florence Aubenas que Françoise a adoré et Un mage en été d'Olivier Cadiot qu'elle a emprunté pour moi à l'excellente Médiathèque de Bagnolet. En général j'aime justement beaucoup le style de Cadiot, sa musique. Le style. L.F. Céline en parlait très bien. Le style est plus important à mes yeux et mes oreilles que les histoires racontées. Une excellente raison pour égratigner la majeure partie de la production cinématographique actuelle, empêtrée dans les conventions imposées par la narration ou reportages démonstratifs...
Pourtant je n'ai pas accroché à Oncle Boonmee du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul qui semble enchanter pas mal de monde. Les images sont belles, mais le rythme, très personnel, est malgré tout mollement bancal. Est-ce magiquement stylé ou simplement maniéré ? Peut-être est-ce ce fichu sens du sacré qui me fait défaut ? Ou aurais-je une façon tordue de l'appréhender ? Je le sens lorsque je discute de Pasolini ou Bergman avec les amis. Le mysticisme me barbe quand il se substitue à l'inconnu. Comme si la question sans réponse le resterait éternellement ! J'ai essayé de regarder les Enquêtes extraordinaires de Stéphane Allix (Ed. Montparnasse), mais l'accumulation de témoignages ne mène nulle part. J'espérais quelque polémique entre divers scientifiques et philosophes pour m'aider à terminer le feuilleton un peu science-fiction dont il ne me reste que sept épisodes sur cinquante à écrire...
Question du style toujours avec Edward II de Derek Jarman. Le punk baroque appliqué à Marlowe m'horripile rapidement. Surcharge, surjeu, surtout. Tout paraît ampoulé, crémeux, redondant. L'icono homo accouche parfois de ce genre de monstre misogyne.
Le baiser de la femme araignée d'Hector Babenco, réalisateur brésilien d'origine argentine, m'inspire l'inverse (les deux DVD sont publiés par Carlotta). L'homosexualité n'est pas le sujet, mais le machisme qui produit les pires horreurs sur Terre. L'écrivain Manuel Puig révèle le secret de l'origine de son roman dans l'un des bonus. Il n'a pu trouver une seule femme qui revendique son asservissement à l'homme. Seul un travesti pouvait tomber dans le panneau, hors la réalité, dans le fantasme sans hésiter. Le film de 1985 n'a pas pris une ride. Deux prisonniers partagent la même cellule sous un régime dictatorial. Le film dans le film, raconté à l'un par l'autre, souligne l'évasion impossible. À la caricature de militant joué par Raul Julia répond l'extraordinaire finesse du personnage interprété par William Hurt, catalyseur d'un miroir aux faces multiples qui creuse l'inconscient en explorant les abysses de la sexualité et du pouvoir pour révéler la dignité de l'être humain. La résistance se dévoile sous des visages inattendus...