Dans Le rebelle (The Fountainhead) de King Vidor, après avoir déclaré "Je suis prêt à tout pour vous anéantir", le journaliste Elsworth Toohey interprété par Robert Douglas demande à l'architecte Howard Roark (sublime Gary Cooper) ce qu'il pense de lui et Roark de répondre "Mais je ne pense pas à vous."
Je ne peux m'empêcher de faire le rapprochement avec Alain Fleischer dont les manifestations sont toutes plus odieuses les unes que les autres. Dernière en date, son nouveau livre, Réponse du muet au parlant (titre emprunté à Jean-Luc Godard lors de sa réaction à un célèbre entartrage), remet le couvert, fustigeant l'influence de Godard et son hypothétique antisémitisme, basé sur son seul témoignage. Godard, de son côté, n'a jamais cherché à se disculper, quitte à cultiver les ambiguïtés.
Quelle meilleure façon, pour un médiocre, de laisser une trace dans l'Histoire que de coller comme une sangsue à un artiste qui incarne à lui seul toutes les Histoires du cinéma et une figure clef de la seconde moitié du XXe siècle ? Déjà ses Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard étaient d'une telle vacuité que ce témoignage sans âme représente une des rares prestations godardiennes sans aucun enseignement ni aucun éclat. Des dispositions contractuelles auraient-elles forcé le cinéaste à laisser publier en DVD ce cursus de neuf heures indignes de lui ?
Quant à la polémique concernant l'antisémitisme des antisionistes ou de ceux qui condamnent la politique d'Israël, il me paraît chaque fois indispensable de rappeler qu'il existe de plus en plus de Juifs à savoir faire la différence. On peut être en désaccord total avec un état colonialiste depuis sa création sans être antisémite. On peut préférer la diaspora à la confusion d'un état avec une religion sans être antisémite. On peut être choqué de voir un peuple pratiquer le genre d'exactions dont il fut victime sans être antisémite. On peut être honteux de voir le peuple de ses origines sectionner ses racines par la violence du sabre et du goupillon sans risquer d'être traité d'antisémite. On peut être juif sans être sioniste.
Si jamais tous les Juifs étaient vraiment originaires de la Terre Promise (lire Schlomo Sand), alors les Palestiniens sont nos cousins sémites. On ne peut donc être sémite sans se battre pour que tous vivent pacifiquement sur leurs terres. Ensemble. Être antisioniste, c'est défendre la laïcité de l'État, ici et ailleurs. Être antisioniste, c'est rejeter le colonialisme. Être antisioniste pour un Juif, c'est défendre sa culture, car jusqu'à la création d'Israël les Juifs avaient su résister à toutes les persécutions sans ne jamais être du côté du manche. Ils n'avaient que leur intelligence. Artisans, philosophes, commerçants, banquiers, artistes, scientifiques, tous les chemins n'étaient certainement pas aussi louables, mais lorsque certains prirent les armes, dès le début de l'invasion nazie, avec leurs frères immigrés de toutes origines dans une France de lâches et d'idiots, ce fut pour commettre des actes de Résistance. Les temps ont changé, les rôles sont inversés. Aujourd'hui, sur les traces des pays arabes, le peuple d'Israël saura-t-il se soulever contre ses gouvernements iniques ou continuera-t-il à propager son délire paranoïaque en opprimant les Palestiniens, brandissant le génocide de la Seconde Guerre Mondiale comme bouclier contre toute critique de sa monstrueuse politique ?
On me répond qu'Israël a été fondé pour que les Juifs puissent enfin vivre en paix, mais c'est le dernier endroit où, Juif, je me sentirais en sécurité. On tente de museler Stéphane Essel comme on le fit de Daniel Mermet ou Edgar Morin. Fleischer voudrait faire condamner Godard pour se faire un nom quand l'autre interroge encore et toujours nos paradoxes et nos certitudes.