Souffler n'est pas jouer, mais c'est un bon début. Entendre mon retour à la trompette et celui de Bernard chez lui après quinze jours d'hôpital pour infection pulmonaire carabinée. Souffler n'est pas jouer. Mon camarade Bernard Vitet n'est plus sous oxygène que douze heures par jour, mais le paquet de clopes est entamé. Cela me fait plaisir de le voir debout. Il a recommencé à manger. Souffler n'est pas jouer, même si je me souviens des conseils avisés qu'il nous glissa à l'oreille il y a 35 ans. Penser la note avant de l'émettre. Faire comme si l'on crachait un petit brin de tabac déposé sur la lèvre inférieure. Imaginer une flèche qui file de l'occiput à l'embouchure. Toujours sans effort. Comme si l'on disait le "ich" allemand. Laisser tomber le "bin". Je suis. Bernard griffonne un croquis où le point du "ich" joue le rôle d'un miroir incliné qui renverrait l'image du souffle venant d'en bas. Remonté à la maison sur mon destrier à deux roues, je retrouve des dessins qu'il avait réalisés au début des années 70 pour une animation pédagogique. Je recopie "L'embouchure est posée sur les lèvres, sans s'y appuyer. Les lèvres, tendues sans contraction, vibrent et produisent le son. On sélectionne les harmoniques émises en contrôlant la tension de la colonne d'air et celle des lèvres. La langue reste souple et arquée ; position haute : vers l'aigu ; position basse, vers le grave. Le diaphragme contrôle la régularité de la colonne d'air." Bernard m'explique les vocalises qu'il a imaginées, modales pour ne pas se lasser, en décalant le premier temps à chaque répétition, on glisse ainsi d'une tonalité à l'autre, toujours sans effort. Souffler n'est pas jouer ? Je mets la radio et j'improvise comme ça vient. Miracles. Lorsque le timbre ne me plaît pas j'enfonce une de mes deux sourdines Harmon dans le pavillon. Comme ça on est deux à réapprendre à respirer.