La nouvelle bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu est un livre-objet qui deviendra vite culte tant sa réalisation colle à son concept original. Cet ovni (olibrius voyant non identifiable) est le cousin direct de Michelangelo Antonioni pour son film Blow-Up et surtout Michael Snow pour le film Wavelength et son récit photographique retors Cover To Cover. Du premier il s'approche par une enquête policière dont les fils tiennent à l'agrandissement d'une image, du second par un zoom interminable, unique plan séquence dont les effets de miroir produisent des effets de champ-contrechamp vertigineux où réside la clef de l'intrigue. Le tout sans paroles, par le seul talent du dessinateur-scénariste.
En acquérant la version papier parue aux Éditions Delcourt nous avons illico accès à un site Internet où nous est offerte une version numérique. Illico est le mot puisque l'action, ralentie au gré du lecteur, dure exactement trois secondes. Aucun gadget ici, mais deux manières de lire l'histoire et d'apprécier l'art de Marc-Antoine Mathieu. Sa bande dessinée peut être considérée comme le story-board du film dont la vitesse de lecture est réglable dans un sens comme dans l'autre, un effet snowien là aussi ! J'ai encore pensé à l'excellente série Le relief de l'invisible réalisée par Pierre Oscar Lévy où l'on zoome dans la matière jusqu'à l'infiniment petit pour repartir en arrière vers l'infiniment grand. Jean Cocteau, dans le chapitre Des distances de son Journal d'un inconnu précise bien qu'il n'existe rien de grand ni de petit, mais seulement des distances. Portée par tant d'anagrammes, de réflexions quasi palindromiques, d'indices à déchiffrer, la trajectoire du photon qui nous emmène jusqu'à la lune est, sur le site, l'objet d'un forum (spoiler) où débattent les lecteurs comme lors du lancement de Mulholland Drive.


Puisque nous nageons dans les références à espérer cerner une œuvre hors normes et que celle-ci en abonde, j'avais découvert Mathieu en cherchant un auteur de la trempe de Francis Masse, un autre de mes héros, héros qui sera d'ailleurs présent au Monte-en-l'air ce soir lundi à 17h pour la sortie de son (Vue d’artiste) et la réédition des Deux du balcon. J'ai craint un moment la fermeture de la librairie qui avait simplement déménagé 71 rue de Ménilmontant / 2 rue de la Mare, 75020 Paris, dans un espace spacieux permettant les expositions. À n'en pas douter, 3" s'y trouve en bonne place, nos yeux zoomant éperdument sur les merveilles graphiques rassemblées.