Il ne devait pas y avoir beaucoup de musiciens dans la salle du Grand Rex à avoir joué avec George Harrison, ni d'ailleurs avec Eric Clapton, l'ami très présent dans le documentaire que Martin Scorsese a consacré au Beatle tranquille George Harrison. Dans cette colonne j'avais raconté ces rencontres improbables qui me valent probablement d'avoir été gentiment invité lundi soir par le rédacteur en chef de Schnock et adjoint à Technikart, Laurence Rémila, pour la Première de Living in the Material World. Ayant proposé à ma fille de m'accompagner, puisque George avait été aussi son Beatle préféré avec poster au-dessus de son lit d'enfant, nous avons passé ensemble une agréable soirée, malgré une première partie plutôt ratée avec Philippe Manœuvre en présentateur lamentable, la veuve et le fiston Harrison consensuels en tournée promo et neuf "jeunes" chanteurs français massacrant pour la plupart le répertoire du défunt. Le film durant 3 heures 30 on pouvait craindre le pire de ce genre qui alterne documents inédits et interviews saucissonnés dans le but d'élever une statue à l'artiste épinglé. Les précédents essais de Martin Scorsese consacrés à The Band et aux Rolling Stones ne m'avaient pas emballé (je n'ai pas vu celui sur Bob Dylan).
Le mérite revient ici au monteur David Tedeschi en charge de 600 heures de rushes, car l'évocation est plutôt réussie malgré quelques longueurs à la fin sur le mysticisme bon enfant de George. Le personnage ne se prenant pas pour un dieu comme beaucoup d'égéries pop, Living in the Material World peut en dégager la tendresse, l'humour et l'opiniâtreté. Le rythme des images et du montage son ne donne pas l'impression désagréable d'incessant coïtus interruptus, habituelle dans ces documentaires biographiques. Les témoignages sincères de Paul Mc Cartney, Ringo Starr, Yoko Ono, Patty Boyd, Olivia Harrison, Tom Petty, Phil Spector, etc., sont plus attendris qu'ils ne dispensent de louanges à tel point que l'honnêteté est le qualificatif le plus approprié, loin des révisionnismes en vigueur, sans tentation d'exhaustivité forcément réductrice ni révélation qui ne soit déjà répertoriée sur Wikipédia ! CD+DVD sortis hier chez Capitol.
Avant la séparation des Beatles j'avais aimé George Harrison parce qu'il était le plus expérimental des quatre, d'abord avec la partition du film de Joe Massot, Wonderwall Music, dont la variété d'inspirations résonnait avec mes propres aspirations, ensuite pour Electronic Sound entièrement réalisé au synthétiseur Moog, pas son plus réussi, mais le plus gonflé compte tenu de son image. Comme le formidable Revolution 9 réalisé avec John Lennon et Yoko Ono sur le disque blanc, ces incartades surprenantes m'indiquaient que l'on pouvait s'autoriser toutes les libertés, quitte à déstabiliser son public et ne pas chercher le succès à tout prix ! Plus tard je rachetai l'incontournable coffret All Things Must Pass en réédition CD, mais je lui dois surtout d'avoir participé à mon entrée à l'Idhec. Réalisant mon enquête sur les dévots de Krishna pour le concours d'entrée à l'école de cinéma, je rencontrai George Harrison jusqu'à l'accompagner à l'harmonium chez Maxim's comme évoqué plus haut... Je me souviens d'un homme calme et attentif, étouffé par le succès et ses fans hystériques, en quête de lui-même dans un monde matériel où chacun doit vivre avec ses contradictions...