Les erreurs font le style, mais les maladresses ne font pas pour autant l'artiste. Par "erreur", entendre les écarts en regard de l'orthodoxie et des conventions. Le savoir-faire permet de gérer, quand les errements produisent de la création. Jean-Luc Godard rappelait que si la culture est la règle, l'art est l'exception. La poésie est circonlocutoire. Les grandes inventions ont souvent été découvertes en cherchant autre chose. En art, on atteint rarement la cible en visant dans le mille. L'artiste peut se croire incompétent lorsqu'une direction le dégoûte. Dans le rejet de l'existant, naissent ainsi des mondes. Rien d'étonnant à ce que certains en pâtissent, ostracisés par la norme. Tous en profitent. Ce n'est qu'une question de temps. Il est parfois cruel.


Jacques Perconte travaille la matière vidéo en lui faisant subir les sévices de la compression low-tech. Il la pétrit, la broie, l'excite et la magnifie. Lors de ses expérimentations il corrige le rendu au fur et à mesure, pour se rapprocher d'une chose impalpable qui pourrait lui plaire. Nulle indétermination ici, mais le travail d'un sculpteur qui prend son temps, retouche sans cesse pour que l'œuvre apparaisse, un peu malgré lui, du moins il le croit, ou feint de le croire. La naïveté rassure ceux qui maîtrisent leurs outils. Certains font la cuisine en suivant scrupuleusement la recette, d'autres improvisent en recyclant tout ce qu'ils ont goûté, les plats qu'ils ont servis, selon l'humeur du jour, la saison ou les produits du marché. Les couleurs explosent sur l'écran.
À la Galerie Charlot à Paris jusqu'au 24 mars, Jacques Perconte expose ses dernières compressions vidéo avant d'attaquer le cauchemar du prochain long métrage de Leos Carax. À l'éblouissement de Après le feu répond la sobriété de Les Moutiers 2 21. Côte à côte, les deux œuvres projetées en grand jouent du couple tension-détente. Le diptyque formé par Fontainebleau 2012 (ci-dessus) sur deux iPads presque synchronisés fait ressortir l'admirable précision des écrans Apple au service d'une peinture en mouvement. La dialectique s'installe quand l'artiste croyait y échapper. Au rez-de-chaussée de la galerie, Côte d'Albâtre pâlit de la lumière du jour alors que l'obscurité convient mieux à la débauche psychédélique des paysages filmés en plans séquences. Sur Vimeo, Perconte reproduit 79 vidéos de ses œuvres, la plupart impressionnistes. Toutes ont su le surprendre.
On ne confondra pas aléatoire et empirisme. Il y a dix ans Frédéric Durieu donnait naissance à Forever en arrondissant un nombre de son code informatique à la décimale supérieure. En produisant un résultat bancal, l'algorithme créa des variations infinies qui nous échappent. N'ai-je jamais procédé autrement ? Mes incompétences en musique m'obligèrent à trouver des parades pour réaliser ce dont je rêvais, par des voies détournées qu'aucun classique n'aurait imaginées. Je n'avais d'autre choix que de tracer mon chemin à la machette. Lorsque Arnold Schönberg prévint John Cage qu'il allait se heurter toute sa vie au mur de l'harmonie, le jeune compositeur en convint, puis il trouva le moyen de contourner ce mur. La magie naît de cette alchimie entre maîtrise et lâcher-prise.