Le second numéro de La Revue du Cube, consacré à Territoires numériques, nouvelles cités de l’utopie ?, est composé de perspectives (Gilles Clément interrogeant nos pratiques expansionnistes, Claudie Haigneré promouvant l'apprentissage, Emmanuel Mahé décortiquant l'imaginaire, Marie-Anne Mariot inventoriant l'arsenal des utopies pour en choisir les plus généreuses), d'un débat en direct ce soir à 20h30, d'un panorama du Web, d'une sélection de livres et de points de vue de Nils Aziosmanoff, Serge Soudoplatoff, Hugo Verlinde, Jacques Lombard, Pierre De la Coste, Vincent Lévy, Agricola de Cologne, Karen O'Rourke, Yann Minh, Christian Globensky, Jean-Gabriel Ganascia et moi-même, reproduisant ici ma modeste contribution alors que la candidature de Jean-Luc Mélenchon laisse entrevoir de nouvelles perspectives que je n'imaginais pas lorsque j'écrivais ce texte intitulé ¡Vivan las utopías!, nom d'une des chansons d'Un Drame Musical Instantané...

J’ai la chance d’appartenir à une génération élevée au biberon des utopies. Nous avons cru faire la révolution, nous avons seulement réformé les mœurs. D’une seule voix nous avons crié notre révolte contre l’exploitation de l’homme par l’homme, comprenant que le changement ne se ferait jamais par les urnes. Et chacun dans notre coin nous avons imaginé de nouveaux mondes qui furent rapidement convertis en art. Que l’on choisisse alors les barricades ou les fleurs, les pavés découvraient la plage. La réaction fut brutale, insidieuse, mensongère, diffamatoire. D’un côté, on impute régulièrement à mai 68 ce qui ne fut que la réponse du Capital, de l’autre, les marchands s’emparèrent de la poule aux œufs d’or et trahirent la passion qui animait une jeunesse montrant les dents ou s’époumonant. De là naquirent aussi les rêves de jeunes informaticiens qui allaient révolutionner les usages, croquant la pomme et dispensant leurs utopies au monde entier.
Comme à la première question de la Revue du Cube, je réponds d’abord que les nouvelles technologies ne sont que des outils, et qu’à la liberté qu’elles nous offrent répondent aussitôt le commerce dévoyant des voyous, les services civiques de l’institution et les tentatives de mainmise du pouvoir. Lorsque la résistance s’est installée, on légifère, on flique, on confisque, on punit, parfois l’on tue. On tue plus souvent que nous ne le percevons, mais les rebelles s’organisent chaque fois pour réinventer de nouveaux espaces de création et de liberté, avant qu’elles ne deviennent surveillées.
Chaque nouvel outil est un jouet entre les mains des créateurs. À nous d’en faire une arme contre le crime organisé, la manipulation de masse, le cynisme et le défaitisme. Tant qu’il restera ne serait-ce qu’une seule brindille de braise l’espoir de voir le feu reprendre sera légitime. Plus que jamais toutes les forces sont nécessaires pour faire naître de nouvelles utopies.
Je terminerai par la chanson ¡ Vivan las utopias !, que j’ai écrite avec Bernard Vitet en 1996 pour le magnifique double album Buenaventua Durruti (nato 3164-3244), et chantée par ma fille Elsa qui avait alors onze ans, puisque l’on dit qu’en France tout commence et finit en chansons :

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