Chaque fois que je me risque au solo le souvenir du collectif vante les joies du partage. Nous étions pourtant deux, samedi soir lors de I.R.L. Performances, à dialoguer de concert en images et musique. J'avais pour l'occasion enfilé mon percoat. C'est ainsi que j'appelle le long manteau d'hiver dont les dessins me rappellent les compressions vidéographiques de mon camarade Jacques Perconte. Devant le grand écran où sont martyrisés jusqu'à la magnificence ses plans d'océan et de plantes oscillant dans le vent, le public n'y voit que du feu, mais je lutte contre les éléments. Tandis que je joue de la flûte dans un micro perché à un mètre cinquante du sol je dois inscrire le numéro d'un programme en risquant de me faire mal au do. La quinte de tout penche vers la surcharge lorsqu'il me faut changer d'instrument virtuel sur l'ordinateur qui trône devant mon clavier alors que l'obscurité m'empêche de lire les paramètres d'un petit instrument électronique que je pousse du coude. Hips, il y a un hic dans mon dispositif. Les instruments acoustiques permettent de glisser facilement de l'un à l'autre à la faveur d'une pause, d'un silence, d'un soupir ou d'une respiration. Les coups de tête sont impossibles avec l'électronique dont il faut saisir les paramètres avant d'en jouir. Lorsque nous improvisons à plusieurs musiciens, j'ai le temps de réfléchir, d'attendre, de préparer la suite. La gymnastique qu'implique le solo est d'une autre nature, schizophrénie quantique qui m'oblige à prévoir au moins une minute à l'avance quel sera mon prochain coup pour ne pas me retrouver échec et mat, et ce tandis que je me voue corps et âme à l'instant. S'il n'était que deux temps... Mais je me suis surpris à rajouter une couche de passé à ce présent et ce futur. Car il m'arrive parfois de regretter un mouvement et de me demander comment le rattraper. Me voilà triple à la même seconde, jeu de miroirs temporels qui m'éloigne du solo chaque fois que je le tente, la performance circassienne ou sportive m'attirant moins que l'écoute qu'implique l'orchestre. La présence d'autres musiciens me laisse le temps de voir, à défaut de regarder, l'écran que Jacques éclabousse des incroyables couleurs que ses boucles structurent sur un rythme contemplatif que ma tension instrumentale, lorsque je suis seul, cherche sans cesse à saisir pour me laisser porter par le flux. Scotch, descendant direct du chat de Schrödinger, reste perplexe.