Donner le sous-titre d'Un monde merveilleux à l'exposition consacrée au dessinateur de bande dessinée Winshluss par le Musée des Arts Décoratifs à Paris est évidemment un euphémisme. En interprétant les contes pour enfants de la manière la plus critique l'artiste revisite ses classiques comme Spike Jones le faisait en musique. Rien de pervers dans cette cruauté sarcastique, car ces histoires terribles n'ont jamais eu d'autre objectif que de préparer les gosses au monde qui les attend, autrement plus violent que les élucubrations hilarantes de Winshluss. Celui-ci remet simplement les pendules à l'heure, déréglées par l'angélisme puritain américain dont Walt Disney est le dieu. Qu'il aime le monde dans lequel il a grandi ne l'empêche pas d'en souligner ses horreurs et son absurdité suicidaire. Winshluss le réalise avec un talent exceptionnel, variant ses interventions selon les projets, de la bédé Pinocchio (Fauve d'Or du meilleur album au Festival d'Angoulême 2008), déjà chroniqué dans cette colonne, à ses remarquables films d'animation, sculptures, installations, sans oublier les films Persepolis (Prix du Jury du Festival de Cannes, Césars du meilleur premier film et de la meilleure adaptation) et Poulet aux Prunes, tous deux réalisés avec Marjane Satrapi sous son véritable nom, Vincent Paronnaud !


Pour l'exposition Winshluss, un monde merveilleux, présentée dans la Galerie des Jouets du Musée des Arts Décoratifs jusqu'au 10 novembre 2013 par son audacieuse commissaire Dorothée Charles, l'artiste a imaginé quatre grandes vitrines dont les grands magasins feraient bien de s'inspirer pour le prochain Noël afin de rompre avec l'ennui qu'ils déversent désormais. Dans la première, Barbapatomique, une pieuvre rose proche de The Host s'attaque aux petits soldats de son enfance. Et de citer Umberto Eco : « Tu te libéreras de tes rages, de tout ce que tu réprimes en toi, et tu seras prêt à accueillir d’autres messages, qui n’ont pour objet ni mort, ni destruction. » Le jeu guerrier pourrait donc n’être que simulacre et exutoire nécessaires. La seconde passe à la moulinette sept contes de Perrault, Andersen et des frères Grimm, dioramas aux plans superposés et joliment éclairés révélant la cruauté à conjurer de ces histoires monstrueuses que l'on raconte aux enfants pour qu'ils s'endorment ! Après la salle des petits écrans où sont montrés de formidables films d'animation, Il y a 5000 ans disparaissaient les dinosaures est une allégorie amusante mettant en scène les exclus de toute société avec son Arche de Noé affichant complet. La dernière vitrine est la plus méchante avec ses poisons de consommation courante exposés en rayonnages, raviolis au cyanure (spécial crise), foie gras de chômeur (élevé en HLM, nourri à la bière et aux pâtes), Minou Minou (aliment pour chat difficile contenant une famille entière de souris), Subutex Mex, saucisse de hamster, etc.
Malgré cette vision éminemment corrosive et "politiquement incorrecte" le rêve ne perd pas une once de son pouvoir. Pour une fois, retomber en enfance ne trahit pas sa réalité complexe. Quiconque a joué un jour avec des allumettes reconnaîtra dans la propre effigie de Winshluss transpirant dans les flammes que jouer n'est pas souffler, mais brûler, brûler le carcan que la société impose pour être capable de grandir et penser par soi-même. Quel soulagement de découvrir une œuvre humoristique qui fait la part belle à l'intelligence et explose de couleurs et de formes. En sortant de l'expo, Françoise suggère que c'est à des gens comme Winshluss que le Front de Gauche devrait s'adresser pour renouveler les images de la résistance !