Il y a des revues que l'on jette aussitôt lues, d'autres vers lesquelles on revient des décennies après leur parution. Le nouveau Muziq pourrait aller rejoindre Musique en Jeu, L'autre journal, Les Cahiers du Cinéma (d'antan), L'art vivant ou L'enragé sur mes étagères. Le n°1 de cette seconde série (réincarnation du magazine auquel j'avais participé de 2004 à 2009) est publiée par Le Castor Astral sous la forme d'un bookzine vendu en librairies, 160 pages d'articles relatant et commémorant l'histoire de la musique pop(ulaire), du rock en jazz en passant par le funk et la soul. La patrouille de chroniqueurs dirigée par Frédéric Goaty et Christophe Geudin fait jouer mémoire et érudition sur les phénomènes musicaux qui ont agité la seconde moitié du XXe siècle. L'amour des disques y est partout chanté et les retours sur le passé nous font découvrir maints recoins oubliés dès lors que l'on s'intéresse au sujet, qu'il fut vécu ou qu'il soit fantasmé.
Ce premier numéro rassemble un hommage au disparu Jef Lee Johnson ou au guitariste Neal Schon, la seconde carrière de Gene Clark après les Byrds, les chansons méconnues de Paul McCartney, l'association impossible de Sly & Robbie avec James Brown, 32 pages sur Neil Young, un décorticage de l'album Spectrum de Billy Cobham, une fenêtre sur l'acid jazz, des entretiens avec Sixto Rodriguez et Bobby Womack, le souvenir de concerts mémorables des Rolling Stones, Gong, The Who et Weather Report, etc. Le test en aveugle de Jules-Édouard Moustic et la rubrique "Mes disques et moi" proposée à Alain de Greef laissent soupçonner quelques sympathies avec Canal +. Guy Darol termine en signant un remarquable article sur les influences subies par Frank Zappa. En commentaire de cette étude très complète j'ajoute Don Cherry et Roland Kirk à la liste des jazzmen ayant joué avec le compositeur et je rappelle qu'il fit miroiter à Pierre Boulez l'achat d'une 4X, machine développée par l'Ircam, pour le convaincre de jouer sa musique qu'en retour le chef d'orchestre massacra à tel point que Zappa refusait d'aller saluer la salle. Marché de dupes pour l'un et l'autre puisque le choix se porta sur un Synclavier !
Muziq est résolument tourné vers le passé, glorieux s'il en fut. La revue qui abordera l'avenir reste à inventer. Miroir de la quantité de revivals qui hantent les artistes et de la nostalgie d'une jeunesse qui n'a pas vécu l'âge d'or, les journalistes reviennent sur leurs amours d'adolescent. Nous manquons hélas terriblement de visionnaires tant et si bien que les démarches personnelles authentiques ont de plus en plus de mal à sortir de l'ombre. Le marketing et les replis communautaires isolent plus que jamais les outsiders, rebelles indispensables à la régénération de notre univers. The present-day composer refuses to die, ressassait Zappa sur ses pochettes en citant Edgard Varèse. Le compositeur d'aujourd'hui refuse de mourir !