Nombreux jeunes et moins jeunes audiophiles redonnent au vinyle une seconde chance en encensant ses qualités dynamiques. Au vu des stocks du label GRRR cet enthousiasme m'enchante, mais je crains de devoir rajouter un bémol à la clef. S'il est certain que la campagne qui a accompagné l'avènement du CD fut somptueusement mensongère, tout n'est pas aussi rose que ce revival aimerait le laisser croire.
Revenons vingt ans en arrière. On nous vendit le numérique pour son support inaltérable : c'est évidemment faux, un vinyle craque alors que la moindre rayure envoie le CD à la poubelle, et contrairement à la galette en plastique argenté le vinyle résiste au temps si l'on n'y touche pas. Par contre il est évident qu'un vinyle s'use plus vite et les scratches se multiplient si l'on a un tourne-disques basique. Comparons les écoutes. On nous vendait les qualités dynamiques du CD : c'est sujet à caution, les tests montrent que selon les musiques un support peut fonctionner mieux qu'un autre, ce qui peut contrarier les puristes revenus au disque noir. Il est un domaine où celui-ci l'emporte, l'emballage : jamais le petit format de 12 cm n'égalera une pochette de 30x30 cm, les graphistes en savent quelque chose. De plus la manie d'écrire les textes des livrets en minuscules (lorsque ce n'est pas en jaune sur fond blanc !) n'arrange pas ni les myopes ni les presbytes. Ces comparaisons font pourtant fi d'un certain nombre de paramètres que seul l'usage permet de préciser. Par exemple, un auditeur lambda a une écoute attentive limitée dans le temps. Vingt minutes était une durée parfaite et le silence qu'imposait le retournement du disque lui profitait. Pour les œuvres longues tels opéras et symphonies l'exercice était malgré tout fastidieux. Si l'on constate que les avantages et les inconvénients sont différents selon les cas, il convient de comparer des pressages récents et anciens pour se faire une idée juste de ce revival vinylique.
Mieux, rappelons-nous l'émotion partagée lorsque nous allions graver le master d'un nouvel album. Orsini travaillait en orfèvre, nous expliquant la moindre correction qui améliorait l'enregistrement original. Il fallait le voir la loupe rivée à l'œil pour scruter le sillon. Lorsque les exemplaires pressés étaient livrés nous avions toujours une bonne surprise, l'objet sonnant toujours mieux que la bande magnétique. Ce bonus qualitatif ne se présente plus qu'au master si l'on travaille dans un studio luxueusement équipé de compresseurs à lampes et autres machines qui valent une fortune. Oubliez les masterings sur ProTools qui ne leur arrivent pas à la cheville ! Ce n'est pas seulement une question d'oreille, mais aussi de matériel. Aujourd'hui aucun musicien n'assiste plus à la gravure ni au pressage, souvent réalisés dans un pays de l'est. Pas plus qu'il ne va à la mise en machine de sa pochette à l'imprimerie. Conclusion : les impressions sont fades, les noirs sont bouchés, les contrastes et les couleurs écrabouillés. Pour les rééditions il faudrait également partir de la bande master analogique (si elle a été conservée correctement, sans variation de température, rembobinée sur la fin pour éviter le pré-écho) et non presser le vinyle d'après une copie numérique ! Mes tests comparatifs ne vont certainement pas dans le sens fantasmé par les vinylophiles... Et pendant ce temps mon camarade Vincent Segal écoute des 78 tours sur une platine classieuse, jugeant avec raison qu'en matière de dynamique ses bakélites sonnent cent fois mieux que la matière plastique !
Je termine avec les derniers vinyles que l'ont m'a offerts et que je regarde tourner avec leur macaron central qui donne le tournis. Watt est un quatuor de clarinettes et clarinettes basses composé de Julien Pontvianne, Jean Dousteyssier, Antonin-Tri Hoang et Jean-Brice Godet qui interprètent une musique de drône fortement inspirée par La Monte Young ; sons continus de la sinusoïde presque pure au sang impur qu'abreuve notre sillon, machine soufflante à simple effet en produisant de variés selon la perception de chacun.
DDD envisage de vendre en bundle les vieux albums du Drame accompagnés de remix de DJ américain, anglais et allemand comme le label parisien a commencé de le faire avec Luc Marianni, la curiosité rivalise avec l'impatience !
The Din of Eon est le second LP de Transistor, duo de Franck Vigroux et Ben Miller, très proche de Scott Walker dernière période y compris la pochette de Philippe Malone qui rappelle l'ambiance de l'usine dans le film Pola X, les synthés analogiques du Lozérien se mêlant à la voix envoûtante de l'Américain en sombres évocations noir et blanc de la veine du Portugais Bernardo Devlin.
Chez tous, les craquements sont bien présents dès la troisième écoute, mais on se fiche du support, seule importe la musique... Excusez-moi, ce n'est pas comme un flux mp3, il faut que je me lève pour tourner le disque !