L'accident fatal serait arrivé en décembre, mais nous ne l'avons appris que dimanche. Tommy vouait un culte à la montagne. Il y était heureux, loin des fureurs du monde qu'il avait arpenté plus jeune, de son Copenhague natal aux Alpes suisses en passant par les squats berlinois. Il gravissait les pentes abruptes comme si c'était du plat, arborant un communicatif sourire. Le meilleur des vachers, toujours sur le qui-vive avec ses chiens câlins qui lui obéissaient au doigt et à l'œil, il se méfiait des vaches qui peuvent parfois être méchantes, mais jamais autant que les hommes. Ce travail saisonnier lui permettait de vivre en montagne, le bonheur absolu. Il descendait dans la vallée voir sa compagne lorsqu'elle ne montait pas jusqu'à l'estive. Contrairement aux préjugés, Tommy (à droite sur la photo face à Michel, un ami, vacher comme lui) était un homme cultivé. Issu d'une famille extrêmement pauvre, il avait eu la chance d'être adopté par les parents d'un de ses copains de classe, une rencontre qui change un homme. Il avait appris à penser par lui-même, développant un bon sens rare par les temps qui courent. Il critiquait les subventions de l'Europe qui poussent à faire des dépenses inutiles et créent des effets pervers, suggérant de réaliser de ses mains les constructions des estives en harmonie avec la nature pour un moindre coût. Nous nous étions liés d'amitié, passant avec lui des moments merveilleux l'été dernier dans les Pyrénées. Indépendant, il ne se laissait pas faire, avait ses méthodes à lui, mais il n'osait pas clamer qu'il était du côté de l'ours. Combien de fois ensemble avons-nous refait le monde ! Lundi matin, me réveillant d'un cauchemar, son accent danois tinte à mes oreilles. Tommy était descendu dans la vallée. Sa vieille voiture aurait percuté un camion.