Pourquoi ai-je refoulé mes larmes à la projection du film Pride réalisé par le Britannique Matthew Warchus ? J'ai reniflé et me suis essuyé la figure en espérant que mes voisins ne m'avaient pas vu céder à l'émotion. La plupart des pleureurs et des pleureuses se cachent ou s'excusent alors que leurs sanglots expriment une franchise épidermique plus saine que la crainte d'être assimilés à des midinet(te)s. Le phénomène d'identification au cinéma renvoie toujours à des aventures vécues. La reconnaissance de situations qui nous ont marqués est la clef de cette subjectivité qui parfois oppose les spectateurs sans comprendre les raisons des uns et des autres. Tout le cinéma narratif repose à la fois sur le vécu et les fantasmes de chacun. L'effet d'étrangeté brechtien de certains films ou l'analyse critique a posteriori peuvent permettre de prendre quelques distances, mais l'émotion ne se dissipera heureusement pas pour autant. Je pleure donc au cinéma lorsque je reconnais des situations enfouies dans ma mémoire et qui sont probablement fondatrices de ma personnalité. J'ai déjà évoqué ici les retrouvailles de deux personnes après une très longue période qui me renvoient à la séparation après des vacances pénibles loin de mes parents lorsque j'étais enfant. Quelle que soit la qualité du film ce genre de scène me fait toujours le même effet...
Dans Pride la solidarité d'un groupe d'activistes gays et lesbiens anglais avec les mineurs gallois lors de la grève de 1984-1985 me renvoie à mon adolescence où les clivages interprofessionnels s'effaçaient devant la nécessité d'être ensemble. Seule la grève générale provoqua de véritables bouleversements, pas seulement face au gouvernement, mais dans les consciences de tous. Les replis communautaires et professionnels isolent les revendications avec peu de chance de les faire aboutir. À tour de rôle les uns et les autres se critiquent sous prétexte des enquiquinements que produit telle ou telle grève. Les citoyens ont du mal à se sentir concernés par d'autres problématiques que les leurs, au nom de la liberté ! Cette liberté a perdu tout son sens sous le poids de l'individualisme forcené.


L'alliance improbable entre les jeunes activistes LGBT et les ouvriers du nord ne fit hélas pas fléchir Margaret Thatcher, mais elle fit avancer la reconnaissance des droits des gays et lesbiennes. La comédie de Matthew Warchus est un bonbon anglais avec des acteurs formidables comme seuls les Anglo-Saxons savent soigner la véracité de leurs personnages. Leur secret est de travailler leurs rôles ! Comme d'habitude les films grand public, spécialement les comédies, sont souvent boudés par la critique qui supporte mal de céder à ses émotions. On en pleurerait.

P.S. : et puis j'ai repensé à l'excellent livre de Didier Eribon, Retour à Reims...