La machine vous embarque, vous écrase ou vous porte, mais jamais ne caresse. Moteur à explosions composé de pistons, de cordes bandées et de frappes unanimes, Europa Berlin est la deuxième station du périple ferroviaire entrepris par l'Orchestre National de Jazz dirigé par Olivier Benoit. La première n'avait pas plus l'air du Paris éternel où je suis né que celle-ci ne réfléchit la résurrection berlinoise. L'ensemble fait si mâle que j'ai l'impression d'être sur le terrain d'entraînement d'une armée d'enragés prêts à en découdre avec le monde entier. Est-ce un clin d'œil carré au Globe Unity éclaté d'Alexander von Schlippenbach ? Car Berlin n'est pas Vienne. Olivier Benoit choisit d'en faire une marche plutôt qu'une valse ! La ville a pourtant tenté d'effacer le souvenir du Reich en constituant une mosaïque d'initiatives libertaires qui redonne des couleurs à la capitale. Si vous aimez l'avancée kolossal des tanks qui gravissent les collines et dégringolent les pentes vous serez ravis, mais si vous préférez le Sehnsucht, intraduisible vague-à-l'âme chanté par Goethe et Schubert évoquant la délicatesse de la poésie allemande que la seconde guerre mondiale a balayé en détruisant toutes ses marges, alors vous verrez probablement les filles baisser le son de votre ampli en vous demandant si vraiment vous aimez cela.
Difficile d'identifier les références à l'architecture annoncées par le guitariste-compositeur-chef d'orchestre tant à Paris qu'à Berlin. Je me demande ce que donnera la prochaine escale prévue à Rome, où la musique contemporaine devrait prendre le pas sur le jazz et le rock en rendant hommage à Luciano Berio, Luigi Nono et Fausto Romitelli, trois compositeurs résolument variés, mesurés, curieux, qui surent réconcilier le passé avec leur époque en revendiquant les recherches les plus inventives tout en assumant les musiques populaires. Les compositions sont brillantes, les onze musiciens de l'ONJ font tous preuve d'une virtuosité exceptionnelle tant individuelle que groupée, mais la musique, toute en tension, est si dense et homogène qu'elle ne laisse aucune place à la détente et à la dialectique, ressort dramatique qui m'est vital. Question de goût, de point de vue ou de capacité respiratoire !
(ONJAZZ Records, L'Autre Distribution, sortie le 27 avril)