Le support disque divise les auditeurs. Les uns ne peuvent plus écouter de vinyles. Les autres ne veulent plus écouter de CD. Passionné avant tout par la musique inscrite sur le support, je ne me satisfais d'aucune interdiction, qu'elle soit technique ou de principe. Les nouveaux adeptes du vinyle privilégient l'objet au sujet. Si les élucubrations audiophiles sont parfaitement mesurables, on comprend par contre les graphistes qui encensent les 30 centimètres de la pochette 33 tours alors que le CD présente une misérable surface cinq fois plus petite. Quelles que soient la taille et la forme de l'objet physique il est certain que cette valeur ajoutée semble seule capable de combattre la dématérialisation des supports. D'où l'engouement récent pour les disques en vinyle, ou les astuces éditoriales de certains producteurs numériques comme les livrets de 160 pages illustrées du label nato ou les variations de pochette infinies à composer soi-même du Never Better des rappeurs de P.O.S. J'ai déjà écrit ici ce qui pouvait justifier le choix de tel ou tel support, compte tenu de la réalité de fabrication, ou comment le passage d'une face A à la B lutte contre le flux radiophonique des playlists en mp3.
En éditant des albums des années 70, voire des inédits de cette époque, Le Souffle Continu, dont le magasin est connu de tous les amateurs, obéit à une logique cohérente. Le son de l'aiguille renforce l'expérience et les gestes de l'usager qui l'accompagnent participent à cette plongée dans le temps passé. Sortir méticuleusement le disque de sa pochette en papier blanc, le centrer sur l'axe de la platine, vérifier la vitesse de lecture, poser le bras, changer de face sont des usages qui influent sur d'autres comportements de notre quotidien comme Internet façonne inconsciemment nos cerveaux sans que nous en mesurions réellement l'ampleur. L'inconscient collectif n'agit pas parallèlement à la psyché de chacun, il l'oriente sérieusement, quitte à créer des incompatibilités sociales dans les cas les plus extrêmes, du point de vue des masses comme des individus !


Après les 30cm de Red Noise, Semool, Mahogany Brain et les trois 17cm de Heldon, Le Souffle Continu continue avec deux autres vinyles de Heldon, cette fois 30cm, Live In Paris 1975 et Live In Paris 1976, le premier tournant en 33T, le second en 45T ! Le travail de Richard Pinhas se situant entre le rock psychédélique et le rock industriel, il trouve un écho dans les musiques d'aujourd'hui avec ses envolées de guitare électrique, ses boucles synthétiques et ses saturations monodiques. Les disques de son groupe Heldon font ainsi figure de racines hexagonales à plusieurs courants actuels. Les pochettes dessinées par Stefan Thanneur réfléchissent à la fois le spectre timbral arc-en-ciel, les pétouilles du vinyle, et le light-show liquide d'époque que renforcent les galettes elles-mêmes, toutes différentes, mélange de rose ou de bleu avec du blanc sur le support transparent.
Sont annoncées les rééditions des historiques La guêpe de Bernard Vitet (texte de Francis Ponge) et Tacet de Jean Guérin parus à l'origine chez Futura. Il est également fortement question d'éditer Avant Défense de, improvisations inédites que j'enregistrai avec Francis Gorgé entre 1973 et 1975 avant notre premier disque, album "culte" pour avoir figuré sur la Nurse With Wound List et depuis réédité en CD et vinyle avec quantité de bonus chez MIO et Wah-Wah !


Le vinyle ne sied pas qu'aux rééditions. Nombreux artistes choisissent de publier leurs œuvres récentes uniquement sur disque noir, surtout s'ils appartiennent à des courants marginaux, musique de recherche ou improvisée, industrielle ou électronique, etc. La harpiste Hélène Breschand ne se prive pas pour autant du numérique, proposant d'envoyer une version digitale à télécharger à tout acheteur du LP Les Incarnés. Les préparations acoustiques et électroniques de son instrument torturé créent un univers saturé de silence et de déchirures, frottements et pinçons où le corps semble martyrisé par un enchevêtrement de cordes, sorte de bondage musical que renforce la voix japonisante.

→ Heldon, Heldon Live in Paris 1975 et Heldon Live in Paris 1976, Le Souffle Continu, 17€ chaque
→ Hélène Breschand, Les Incarnés, D'Autres Cordes, 15€