Si vous n'avez jamais entendu parler du documentariste britannique Adam Curtis (plus fourni, mais en anglais dans le texte) cela n'a probablement rien de surprenant et il n'est pas trop tard pour rattraper le temps perdu à regarder des reportages plan-plan comme il y en a tant. Adam Curtis réalise des films presque exclusivement pour la BBC, or le monde du cinéma méprise royalement ce médium. De plus il est anglais et il est difficile de trouver ses films sous-titrés. Deux raisons pour passer à côté d'un incontournable pourfendeur de l'establishment dont les recherches formelles de ses derniers films sont à l'égal des sujets traités. On connaît la réputation des Britanniques en matière de documentaires et cette fois vous serez servi !


Contrairement à ses autres documentaires qui ont recueilli quantité de prix dont de nombreux BAFTA, It felt like a kiss (2009) n'est pas un film en soi puisqu'il fait partie d'un spectacle multimédia de la compagnie Punchdrunk avec la partition du musicien de Blur et Gorillaz, Damon Albarn, interprétée par le Kronos Quartet, mais c'est un des plus drôles, accessible même si l'on ne comprend pas bien la langue de Shakespeare ou de Lennon-McCartney. Dans ses films les plus récents Adam Curtis utilise des images d'archives qui ne semblent pas toujours en rapport avec son sujet, mais qui sous-tendent un discours intelligent et sensible touchant souvent à l'inconscient. La manipulation de l'opinion dans les pays démocratiques est justement le thème de The Century of the Self (2002) ou comment le neveu de Sigmund Freud inventa les relations publiques et la société de consommation en adaptant les théories de son oncle, suivi par Anna, la fille coincée du psychanalyste viennois.


Dans tous ses films, souvent assez longs et découpés en trois ou quatre parties d'une heure, on découvre des séquences incroyables d'images vues nulle part ailleurs. La fiction et le réel se mêlent souvent pour servir son propos. Le travail de montage et de sonorisation est remarquable. Dans ses films les plus récents les cartons rappellent explicitement les travaux de Jean-Luc Godard, mais ailleurs la voix de Curtis accompagne souvent ses montages insolents ; les images et les sons ne sont pas des redondances du commentaire, ils jouent de transversalités en s'inspirant de Brecht et Freud. Pandora's Box (1992) aborde les dangers de la rationalité technocratique et politicienne, The Living Dead (1995) les manipulations de l'Histoire nationale et de la mémoire individuelle, The Power of Nightmares (2004) le parallèle entre l'islamisme du monde arabe et le néo-conservatisme des États Unis avec leur intérêt mutuel de créer un ennemi pour attirer notre sympathie, The Trap - What Happened to our Dream of Freedom (2004) le concept simpliste de liberté sur des êtres devenus robotiques à force de bourrage de crâne, All Watched Over By Machines of Loving Grace (2007) la faillite des ordinateurs à nous rendre la vie meilleure, Bitter Lake (2015) l'alliance perverse de l'Arabie Saoudite avec les États Unis créant un monstre sous prétexte de lutter contre le Mal, etc.
J'ai découvert Adam Curtis par hasard en prenant It felt Like A Kiss pour un film de Bill Morrison dont j'ai acquis depuis le triple coffret Blu-Ray. Le style était très différent, mais l'un et l'autre se servent exclusivement d'images d'archives avec des partitions sonores savamment travaillées. Je pensais plutôt à une sorte d'actualisation du génial A Movie (1958) de Bruce Conner.


Il existe quantité de petits films et la plupart des longs de Curtis sur Vimeo ou YouTube, tous en anglais non sous-titrés, mais relativement compréhensibles selon vos connaissances en anglais. J'en ai reproduits deux ci-dessus, commencez par ceux-là, les plus anciens sont de facture plus classique, mais très au dessus de ce que l'on nous montre la plupart du temps.