Robert Desnos n'a jamais cessé d'inspirer les musiciens. Poulenc, Milhaud, Wiener, Kosma, Lutoslawski, Dutilleux, Reibel et bien d'autres n'y ont pas résisté. Sur le label GRRR l'accordéoniste Michèle Buirette en chante plusieurs dans l'album Le Panapé de Caméla, et du spectacle Comment ça va sur la Terre ?, ma préférée reste Le zèbre chantée par Elsa. J'ai moi-même accompagné à l'orgue et effets électroniques les comédiens Arlette Thomas et Pierre Peyrou disant du Desnos lors du spectacle d'inauguration du Théâtre Présent à La Villette en 1972 ! Desnos prête à jouer. Les amateurs de facéties trouvent facilement dans ses poèmes matière à interprétations et digressions. En 1983, avec Un Drame Musical Instantané, nous avions intégré dans notre création policière La peur du vide le rêve que Desnos avait lui-même mis en sons pour la radio en 1938 :


Le trompettiste Serge Adam, la guitariste Christelle Séry et la chanteuse Tania Pividori ont choisi d'adapter le recueil Corps et biens pour leur spectacle Journal d'une apparition. Les paysages sonores et les évocations inventives accompagnant les textes déclamés me convainquent plus que les chansons à trois voix pas toujours très justes, mais l'ensemble se tient, surtout lorsque l'électronique ou l'électricité viennent assumer l'intemporalité de la poésie de Desnos. Pistons, cordes et effets vocaux donnent aux poèmes des allures animales de dessin animé dont l'espièglerie ne cache jamais la gravité.


Publié par Desnos en mai 1930, après son éviction du groupe surréaliste par André Breton et la mort de son amour impossible, la chanteuse Yvonne George qu'il n'oubliera jamais, Corps et biens rassemble des poèmes écrits pendant les dix années précédentes, manière de passer à autre chose. Breton lui reproche son narcissisme, ce qui est plutôt cocasse venant de lui. Desnos refuse ses oukazes. Aragon en remet une couche : « Le langage de Desnos est au moins aussi scolaire que sa sentimentalité. Il vient si peu de la vie qu'il semble impossible que Desnos parle d'une fourrure sans que ce soit du vair, de l'eau sans nommer les ondes, d'une plaine qui ne soit une steppe, et tout à l'envi. Tout le stéréotype du bagage romantique s'adjoint ici au dictionnaire épuisé du dix-huitième siècle. […] Les lys lunaires, la marguerite du silence, la lune s'arrêtait pensive, le sonore minuit, on n'en finirait plus, et encore faudrait-il relever les questions idiotes (combien de trahisons dans les guerres civiles ? ) qui rivalisent avec les sphinx dont il est fait en passant une consommation angoissante. Le goût du mot « mâle », les allusions à l'histoire ancienne, du refrain dans le genre larirette, les interpellations adressées à l'inanimé, aux papillons, à des demi-dieux grecs, les myosotis un peu partout, les suppositions arbitraires et connes, un emploi du pluriel […] qui tient essentiellement du gargarisme, les images à la noix... »
Mais ce que ses anciens camarades lui reprochent, n'est-ce pas ce qui en fait tout le suc ?!

→ Robert Desnos, Journal d'une apparition, par Serge Adam, Tania Pividori, Christelle Séry, CD Quoi de neuf Docteur, dist. Muséa et Les Allumés du Jazz, sortie le 15 décembre 2016, puis plateformes iTunes, Qobuz, Deezer, Spotify dès le 13 janvier 2017...