La question piège envoyée par Citizen Jazz était : «Pouvez-vous relater un fait et/ou une courte anecdote, qui, selon vous, représente l’évolution du jazz et/ou des musiques improvisées au cours de ces 15 dernières années ? ». Carte blanche fut donnée à des structures comme Les Vibrants Défricheurs (Collectif rouennais), Jazzdor (scène strasbourgeoise), BeCoq et nato (maisons de disques indépendantes) qui y ont répondu. Nombreux musiciens, journalistes, acteurs proches de la ligne de la revue en ligne se sont prêtés au jeu. J'y ai moi-même participé sur 6 pages avec un texte dont je livrerai demain l'intégralité puisque n'y figure que le début, soit un long extrait. Mais je préfère laisser Matthieu Jouan présenter l'entreprise en reproduisant son édito qui rappelle d'alleurs quelques pistes que je formulai dans mon texte Les Affranchis publié dans cette colonne en août 2013 :

" Quoi de plus incongru et décadent qu’une revue imprimée sur du papier pour fêter les quinze ans d’un magazine sur internet ?
Un pied de nez au temps qui passe et au rapport au support. Car si la revue trouvera sa place définitive sur une étagère poussiéreuse pour n’être ouverte qu’au prochain déménagement (Ah tiens, j’ai ça moi ?), le magazine en ligne est constamment accessible, mouvant, remuant, à jour.
Et du haut de ses quinze ans, notre base de données vous regarde, forte de ses plus de 16 000 articles et 70 000 documents. Nous avons donc décidé de rassembler quelques idées, quelques textes, quelques images et de mettre tout ça en forme. Quelques portraits de musicien.nes que Citizen Jazz suit particulièrement (Pourquoi eux et pas d’autres ? Aucune idée…), des témoignages de personnalités du jazz (ceux qui ont trouvé le temps de répondre), des articles sur des sujets divers, bref un sommaire comme on sait les faire : totalement spontané. Ce qui frappe à la lecture des articles c’est la récurrence de plusieurs concepts et constats.
En premier lieu, la place des femmes dans le jazz. Elles sont de plus en plus nombreuses et visibles. C’est réjouissant et vous les trouverez, assez régulièrement, au fil de ces pages.

Ensuite, la valse des étiquettes ouvre de nouvelles perspectives. Ces fameux « affranchis » savent tout jouer, mélangent tous les styles, les genres, les approches et permettent d’évoluer dans d’autres espaces que ceux confinés au jazz et aux musiques improvisées. De plus, la technologie et internet permettent aujourd’hui la production directe et indépendante de musique, de l’enregistrement à la vente. L’accès au patrimoine du jazz est total, la découverte musicale est accélérée, le circuit traditionnel est obsolète. Les réseaux sociaux sont les nouveaux agendas, les almanachs, les carnets d’adresse. Enfin, l’augmentation du nombre de très bons musiciens, couplée à la fermeture de nombreux lieux et à l’absence flagrante de renouvellement et de curiosité, de prise de risque dans la programmation des festivals de jazz oblige les musicien.nes à s’organiser autrement.
L’époque où l’on gagnait de l’argent en vendant des disques est révolue. Celle où l’on en gagne en les chroniquant aussi !

Suivent 128 pages très joliment présentées et illustrées avec force photos, dessins, collages, bandes dessinées et quantité de points de vue et témoignages passionnants montrant la vitalité de ces musiques inventives. Les choix éditoriaux, évidemment sélectifs, ne choquent pas, parce qu'ils sont présentés comme des coups de cœur, évitant ainsi l'écueil dans lequel est tombée la compilation Polyfree où la plupart des articles thématiques souffrent d'une pseudo exhaustivité qui en révèle les écueils. Les musiciens.ciennes élu.e.s par Citizen Jazz reflètent exclusivement la création hexagonale, échappant ainsi à la starification américaine sur laquelle s'appuie Jazzmag. Enfin, la mise en pages aérée en fait un livre luxueux agréable à feuilleter, parfait à offrir. Les souscripteurs ont eu la chance de recevoir en bonus Le petit livre noir, tiré seulement à 300 exemplaires, qui taille un costard aux parfaites mesures de la presse jazz traditionnelle ; cela reste gentil puisque aucun nom n'est révélé, mais ça vaut tout de même son pesant de bananes !
Saluons donc celles et ceux qui ont concocté ce bel ouvrage, Diane Gastellu, Anne Yven, Franpi Barriaux, Olivier Acosta, Julien Aunos, Aymeric Morillon, Matthieu Jouan, Jeanne Davy, Léna Tritscher et Denis Esnault.

Passage en Revue, 15 ans de Citizen Jazz en papier, 20€