Rideau! sort pour la première fois en CD grâce au label autrichien Klang Galerie. Second album d'Un Drame Musical Instantané, il avait été publié en 1980 sur GRRR en vinyle où il est toujours disponible. Remasterisé en 2016 avec quantité de bonus tracks, parmi lesquels la pièce figurant sur l'album de compilation In Fractured Silence de United Dairies, pour la première fois ici dans son intégralité.
Après nos débuts exclusivement consacrés à la composition instantanée, que les à-peu-près nomment improvisation, M'enfin, sous-titré en anglais The Phantom of Liberty en hommage à Luis Buñuel, fut notre première pièce écrite en composition préalable, soit un morceau de studio avec nombreux re-recordings et manipulations électro-acoustiques. Bernard Vitet y joue des cuivres et d'un faisceau de percussion de son invention aujourd'hui disparu, le percuvent, qui se joue avec la bouche. Francis Gorgé passe de la guitare classique à l'électrique tandis que je fais sonner mon synthétiseur ARP 2600. Tous les deux utilisons également de petites percussions. L'alternance de la fanfare virtuelle avec la guitare et les sons électroniques se déroule sur fond de chiffres du loto arabe enregistré dans le café en face de chez moi.
Pas besoin d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer, sous-titré Against Noise Conspiracy parce que je fus incapable de traduire la maxime de Guillaume d'Orange, est le second morceau de studio de notre histoire, mais l'enjeu fut cette fois de le camoufler en pièce de concert avec le son de la salle et les applaudissements. Bernard au violon, Francis à la guitare arco, moi-même au piano et au synthé, sommes mixés avec un orchestre qui s'accorde. Lors de n'importe quel concert symphonique, c'est un moment toujours réussi quels que soient l'ensemble et l'œuvre ! J'ai découvert beaucoup plus tard qu'Edgard Varèse avait composé une pièce sur ce principe intitulée Tuning Up.
Le morceau éponyme Rideau ! est extrait d'un concert live enregistré au Forum des Halles. Très conceptuel et provocateur, le happening consistait à dissocier l'image des musiciens sur scène et leurs productions sonores. Nous commencions par jouer rideau fermé, puis le rideau s'ouvrait et nous écoutions ce que nous venions d'improviser, commentant notre écoute, vautrés dans de confortables fauteuils. C'était une manière d'illustrer notre façon de travailler en la mettant en scène. Nous diffusions également des pièces d'autres compositeurs que nous discutions simultanément, tel Charles Ives chantant au piano ou le trou de Monk sur The Man I Love avec Miles Davis. Le public avait été interloqué que j'ai l'audace de répondre à un spectateur nous apostrophant : "Papa, on se retrouvera à la sortie !". Or c'était bien mon père, qui m'avait énervé en ne comprenant pas ce que nous tentions de faire, soit scénographier le discours de la méthode et fabriquer des espaces imaginaires. C'est certainement l'un des plus intéressants spectacles de théâtre musical que nous ayons créé, car il annonçait nombreuses voies que nous allions ensuite empruntées pendant la trentaine d'années à venir. Francis y joue aussi de la basse. Je possédais encore mon orgue Farfisa Professional, en plus de l'ARP et de la flûte. Je me risque aussi à la mandoline...
La critique, sous titré Ask Why, quatrième et dernier morceau du vinyle original, fut enregistré en une seule prise devant quelques amis dans ma cave du 7 rue de l'Espérance à Paris, le 1er avril. Bernard et moi y jouons de la guimbarde en plus de nos instruments de prédilection. Nous avions alors un instrumentarium extrêmement volumineux qui rappelait à certains critiques l'Art Ensemble of Chicago, également pour la collection de racines culturelles que nous arrosions.


Les quatre inédits présents sur le CD ont été enregistrés en 1983 dans un studio hyper professionnel. Nous avions demandé le piano Bösendorfer Imperial, des percussions d'orchestre tels des timbales, des gongs, des cloches plaques, une grosse caisse symphonique, etc. Tunnel sous la Manche (Under the Channel) était donc déjà paru sur la compilation de United Dairies avec d'autres pièces de Nurse With Wound, Soma et Hélène Sage, mais dans une version écourtée. C'est la première fois qu'on peut l'entendre dans son intégralité. Bernard est au piano et à la percussion, Francis à la guitare, au synthé (probablement un DX7), à la percussion et à la flûte. J'y joue du synthétiseur, mais je suis passé au PPG Wave 2.2 dont le timbre est d'une profondeur et d'une transparence inégalées ; je complète avec flûte, trompette et diffusion de bandes magnétiques ; on peut reconnaître des extraits du Trou (mais cette fois de Jacques Becker !) que je réutiliserai plus tard pour L'homme à la caméra, de même qu'ailleurs j'ai entendu des bouts de La règle du jeu de Jean Renoir, de Johnny Guitar de Nicholas Ray, et le témoignage d'un fou furieux de l'association Légitime Défense.
La durée des quatre bonus correspond à peu près à celle des quatre pièces originales du vinyle. Pour La peur du vide, Légitime défense et Le directeur paiera pour ses crimes, Bernard joue évidemment de la trompette, mais aussi de la trompette à anche (une de ses innombrables inventions), du violon, de la double bombarde (encore une de ses facéties), des timbales, etc. Francis est essentiellement à la guitare, mais cela ne l'empêche pas d'utiliser synthé, basse et percussion. Quant à moi, en plus du PPG je m'assois au piano, souffle dans trompette, trombone, flûte et guimbarde, et diffuse toujours de drôles de bandes avec un magnétophone à cassette.
Ces quatre inédits auraient pu constituer à eux seuls un album. Je les aime autant que les quatre pans de Rideau !. L'époque était particulièrement inventive, pas seulement chez le Drame. En 1983 nous n'enregistrions plus de disque en trio, accaparés par notre grand orchestre avec lequel nous avons réalisé coup sur coup À travail égal salaire égal, Les bons contes font les bons amis, L'homme à la caméra, et quantité de ciné-concerts, genre que nous avions remis à la mode dès 1976. Bernard n'est plus de ce monde, mais Francis et moi sommes très heureux de cette réédition augmentée. De même que nous avions dédié le vinyle Rideau ! au contrebassiste Beb Guérin qui venait tristement de mettre fin à ses jours, nous aurions pu dédier ce CD à Bernard Vitet qui nous manque cruellement et auquel nous pensons quasi quotidiennement l'un et l'autre.

→ Un Drame Musical Instantané, Rideau !, CD, Klang Galerie, 16€