Si leur place est encore largement minoritaire dans les festivals de films d'animation, les femmes sont tout de même plus présentes que dans le long métrage de fiction ou le documentaire. Elles ont en effet investi depuis longtemps le cinéma d'animation à la suite des pionnières, l'Allemande Lotte Reiniger, reine du théâtre d'ombres, l'Américaine Claire Parker, inventrice de l'écran d'épingles avec son mari le Russe Alexandre Alexeïeff, ou les prolixes Soviétiques sœurs Brumberg... Les plus connues, dont nombreuses Canadiennes, sont Clorinda Warny, Caroline Leaf, Evelyn Lambart, Francine Desbiens, Michèle Cournoyer, Lynn Smith, Torill Kove, Hélène Tanguay,Wendy Tilby et Amanda Forbis, Marcy Page, Michèle Lemieux, Martine Chartrand, Janet Perlman, mais il y en a beaucoup d'autres comme la Lituanienne Signe Baumane dont j'adore les Teat Beat of Sex.


Re:Voir publie un recueil des plus récents films de l'Américaine Suzan Pitt, artiste peintre qui utilise différents procédés pour réaliser ses desseins corrosifs où l'humour et l'autodérision vont de paire avec une virtuosité exceptionnelle, en réalité banale chez la plupart des réalisateurs d'animation qui doivent jouer de patience masochiste pour arriver à leurs fins. J'ai l'heureuse surprise de découvrir la musique de Richard Teitelbaum et Steve Lacy sur le multiprimé Asparagus (1979, 20') où les allusions phalliques explosent en couleurs éclatantes et où chaque image donne naissance à la suivante, sorte de "marabout, bout de ficelle" infini ! De même, Roy Nathanson des Jazz Passengers accompagne le sombre et dépressif Joy Street (1985, 24') jusqu'à ce qu'un bestiaire et la végétation luxuriante des jungles du Guatemala et du Mexique traversées par Suzan Pitt redonnent espoir à l'héroïne au bord du suicide. Le médecin alcoolique de El Doctor (2006, 23') s'associe à une gargouille, tombe amoureux d'une femme-cheval, invoque Santa Esmeralda, la Sainte du Vide, dans cette histoire glauque suscitée par une visite médicale de la réalisatrice à Mexico ; écrit avec son fils, Blue Kraning, ce premier film avec dialogues depuis ses débuts en 1975, ayant recours aux peintures naïves mexicaines, simule une seconde chance face à la vieillesse, évocation de l'interprétation hispanique tordue du catholicisme. Là encore, la vie reprend ses droits sur la mort, dans un combat inégal où le succès n'est qu'illusion. Inspiré par un cendrier et H.P.Lovecraft, le monochrome Visitation (2012, 12') rappelle certaines tendances actuelles de la bande dessinée, gothique et romantique, où les corps difformes nous plongent dans un cauchemar jungien ; la peinture à main levée s'y transforme en suivant une élégie pour violoncelle et piano de Jules Massenet. Très différent des autres, Pinball (2013, 7') accumule de manière stroboscopique, sur le Ballet mécanique de George Antheil, des tableaux rappelant l'overdose dont nous sommes parfois victimes à la sortie des expositions d'art contemporain. Le documentaire Suzan Pitt: Persistence of Vision réalisé par Blue et Laura Kraning est un précieux témoignage des méthodes (animation traditionnelle, pâte à modeler sable, grattage de la pellicule, froissage, etc., qui souvent ici s'additionnent) et des inspirations de la réalisatrice et de son équipe pour les cinq films réunis dans ce fabuleux DVD.

→ Suzan Pitt, Animated Films, DVD Re:Voir, 16,92€, sortie le 15 mars 2017