Parmi la quarantaine de livrets thématiques de la France Insoumise, je me suis penché évidemment plus particulièrement sur celui consacré à la culture. J'y apporte quelques humbles commentaires, mais le mieux est de le télécharger (c'est gratuit !). Je reviendrai ultérieurement également sur celui sur le numérique...
1. La culture
• Étendre la gratuité dans les musées et les autres lieux culturels recevant des subventions publiques nationales, à commencer par un accès gratuit tous les dimanches • Atteindre 15 % de fréquentation de publics scolaires dans les établissements culturels nationaux. • Sortir des indicateurs strictement quantitatifs tels que les recettes et imposer la diversité sociologique et géographique des publics, à commencer par les visites scolaires. • Intégrer les droits d'auteur dans le domaine public, après le décès des auteur·e·s pour financer la création et les retraites des créateurs.
Je suis ennuyé par ce dernier point. Que l'on réétudie les conditions d'héritage me semble indispensable pour réduire l'écart entre riches et pauvres, et ne pas laisser les plus puissants devenir toujours plus influents. Il s'agirait donc de plafonner. Mais il est injuste de s'attaquer aux entrepreneurs d'œuvres de l'esprit face à ceux qui s'enrichissent sur des valeurs matérielles. À Victor Hugo (discours de Lyon) il faut opposer l'initiative de Beaumarchais ! Les droits d'auteur sont légués à ses ayant droits comme n'importe quel héritage. Que cela favorise la création et les retraites des créateurs est une bonne intention, mais cela ne peut se concevoir sans remettre en cause l'héritage dans son ensemble. Cette proposition est très maladroite. Par contre on pourrait limiter le droit moral des ayant droits post mortem pour les empêcher de bloquer la circulation des œuvres et d'exiger des sommes fantaisistes non statutaires.
2. Faire la révolution citoyenne dans la culture
• Abroger les niches fiscales à l’avantage des mécènes et les autres règles sur mesure faites au profit des fondations privées telles que la fondation Pinault à la Bourse du commerce ou la fondation Louis Vuitton au bois de Boulogne. • Intégrer les œuvres d’art dans l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), et intégrer les revenus tirés de leur vente au barème usuel de l’impôt sur le revenu. • Mettre fin à l’intrusion de la finance dans les conseils d’administration des établissements culturels et lui substituer une nouvelle gouvernance démocratique qui renforcera le rôle des représentant·e·s des employé·e·s et associer des représentant·e·s des publics jusque dans la nomination de la direction et dans les orientations stratégiques. Assurer la parité dans les conseils d’administration et féminiser les postes de direction. • Rendre effectif un principe de non-cumul des mandats culturels, y compris dans le temps. • Interdire le sponsoring privé dans les services publics et les événements culturels et atteindre une part de 10 % de budgets participatifs dans les crédits locaux consacrés à la culture
Cela demande évidemment un retour d'investissement de l'État, comme en 1981 lorsque la culture bénéficia de 1% du budget national. Cette remarque s'applique à nombreux points qui suivent évidemment.
P.S.: il en fut évidemment question hier dimanche dans le chiffrage de la campagne, plus de 5 heures d'émission directe sur YouTube, un évènement unique dans l'histoire des présidentielles.
3. Rendre la culture accessible
• Jumeler tous les établissements (écoles, collèges, lycées) avec des établissements culturels, dans des projets profitant à tou·te·s les élèves et encourager les pratiques artistiques collectives ; favoriser la médiation socioculturelle dans ces établissements. • Mettre les associations au cœur de l’action culturelle sur tout le territoire dans l'espace public et leur donner les moyens financiers adaptés afin de faire reculer les déserts culturels. • Favoriser et promouvoir la médiation culturelle dans l’ensemble des lieux patrimoniaux et institutions culturelles subventionnés (musées, orchestres, théâtres, etc.), notamment en leur faisant obligation de recourir à des guides conférencier·e·s diplômé·e·s et titulaires de la carte professionnelle. Encourager, dans les critères de subvention, la co-construction de la programmation culturelle avec les publics. • Défendre le maillage national des bibliothèques et médiathèques, garantir leur budget face aux choix financiers ou idéologiques de certaines collectivités territoriales et embaucher des professionnel·le·s pour assurer de plus larges ouvertures. • Accroître les effectifs des professeur·e·s spécialisé·e·s dans l’enseignement artistique et dans l’Éducation Nationale (notamment par le maintien ou la réouverture des C.H.A.M., Classes à horaires aménagés musique).
C'est toujours la question de la fréquentation des lieux culturels par les classes défavorisées qui pensent que cela ne leur est pas destiné, même lorsque c'est en bas de chez eux. Il faudra faire preuve d'imagination. Je me souviens qu'avant son éviction du festival Sons d'Hiver Michel Thion programmait toujours en première partie un ensemble local, amateur ou professionnel. C'est un exemple parmi d'autres.
4. Affirmer le droit à l’éducation culturelle et artistique
• Transformer l’enseignement artistique supérieur en véritable service public national : sortir les écoles d’art et les conservatoires de musique et de danse du statut inadapté d’Établissement public de coopération culturelle (EPCC). L’État définira les programmes et les règles applicables à leurs personnels. • Renforcer les conservatoires de musique, de danse et d’art dramatique, afin de permettre l’accès de tou·te·s à un enseignement de qualité. Maintenir l’accès aux cours individuels. Ouvrir de nouveaux conservatoires pour permettre à chacun·e, quel que soit son âge, de s’inscrire, avec prêt gratuit d’instruments. • Mettre fin à la marginalisation de l’enseignement artistique. Faire de l’éducation artistique dans toute sa diversité et dans ses trois dimensions (fréquentation des œuvres, pratique, enseignement artistique) une vraie priorité éducative de la maternelle à l’université, jusqu’en entreprise. • Développer une filière de la création numérique dans l'enseignement professionnel.
Dès le cours préparatoire laisser les questions se poser avant d'imposer les réponses. Adjoindre des professionnels en activité aux professeurs de profession comme cela est pratiqué dans les grandes écoles...
5. Protéger les artistes, étendre le régime des intermittents
• Garantir la liberté de création et de diffusion des œuvres d’art contre toute tentative de censure.• Pérenniser le régime des intermittent·e·s du spectacle sur la base de l’accord du 28 avril 2016. Il est une garantie de la liberté de création de celles et ceux qui y cotisent. • Étendre ce régime aux professions artistiques précaires, dont les artistes visuels. • Titulariser les précaires et les permittent·e·s du service public de la culture et de l’audiovisuel. Intégrer les emplois actuellement soustraits par les établissements culturels. • Garantir la pérennité des ensembles et orchestres permanents, l’emploi statutaire, conditions de la mise en œuvre des missions et des cahiers des charges. • Soutenir l’extension des maisons des artistes comme centres de ressources nationaux et mutualisés.
Étendre le régime des intermittents du spectacle aux professions artistiques précaires, dont les artistes visuels, montre que l'on peut ajuster par le haut au lieu d'attaquer stupidement les mieux protégés. Il en est de même des droits d'auteur qui doivent être étendus à des professions particulièrement exploitées. Il ne s'agit pas de bloquer ou compliquer les contrats, mais de rémunérer justement les créateurs. Les graphistes et photographes attendent cela depuis longtemps.
6. Bannir la pollution publicitaire et étendre l’affichage artistique et associatif. Nous lutterons contre l’invasion publicitaire dans les services publics et sur les bâtiments publics, dans les rues, aux abords des villes et des villages. Voici plusieurs actions prioritaires :
• Mettre fin à l’affichage publicitaire sur les bâtiments publics et au « nommage » de lieux culturels publics, tel le AccorHotels Arena. • Interdire les écrans publicitaires numériques et connectés, vrai scandale écologique et déontologique, dans les lieux et transports publics. • Créer un fonds d’appui aux communes qui transforment les panneaux publicitaires en espaces d’affichage culturel et d’expression libre avec une stricte application de l’usage à but non lucratif. • Réguler la publicité, notamment aux entrées de villes et de bourgs aujourd’hui défigurées.
Il faut aller plus loin en repensant totalement l'urbanisme, resté à l'état de concept dans nos villes. Pourquoi sont-elles si tristement grises ? Redonnons-leur de la couleur ! Cela s'applique au mobilier urbain, aux automobiles, etc. Privilégions les initiatives individuelles en leur donnant un cadre élargi. Trop à dire sur la question, mais cela implique d'intégrer le design sonore dans l'univers urbain. De planter des arbres, des jardins partout où c'est possible, etc.
7. Préserver le patrimoine, construire pour le futur
• Faire appliquer le « 1 % artistique » (dans la dépense de construction), prévu par la législation, à tous les bâtiments publics construits, rénovés ou ayant changé d’affectation. L’étendre aux grandes constructions privées. Le prendre en compte dès le concours d’architecture par obligation d’appels publics à candidatures. Faire figurer au cahier des charges de l’architecte et de l’artiste le lien avec la société et l’environnement social. • Renationaliser le mécanisme de prévention archéologique et permettre une application effective de la loi de 2001 sur l’archéologie préventive, sous la direction de l’INRAP. • Investir enfin dans les Archives Nationales pour garantir leur conservation et leur partage avec le public. • Généraliser l’intervention d’un architecte dans la construction de lotissements.
Voir la remarque au-dessus !
8. Soutenir les petites entreprises culturelles indépendantes
• Renforcer les aides à la présence dans tout le pays des salles indépendantes de concert et de cinéma, ainsi que des petits commerces culturels indépendants, avec : - l’augmentation du soutien aux librairies (ADELC), disquaires (CALIF), cinémas indépendants (AFCAE), en particulier en matière de formation, de reconnaissance et de valorisation des diplômes, d’aide à l’implantation ; - l’encadrement des loyers là où c’est nécessaire ; le financement par l’État d’un programme Culture à Loyers Modérés ; - des aides et prêts à 0 % pour permettre aux lieux de se mettre en conformité avec la loi (isolation, accessibilité aux personnes à mobilité réduite…) ; - des instances de médiation culturelle locales pour limiter les conflits d’usage, par exemple pour les nuisances sonores. • Soutenir les structures de création et de production : - ouverture de lieux de travail pour tou·te·s les artistes ; - financement de la structuration des petites compagnies de spectacle vivant, chœurs et orchestres, danse, cirque, écriture ; soutien aux lieux de diffusion de la création contemporaine ; - création d’un CNJV (Centre national des jeux vidéo) qui disposera de mécanismes d’aide sur le modèle du Centre national du cinéma et de l’image animée (avances sur recettes…) ; - renforcement du soutien à la bande dessinée par le CNL (Centre national du livre) ; - création, qui n’a que trop attendu, du Centre National de la Musique.
En 1982, lorsque les compagnies implantées reçurent le soutien de l'État le budget était clos. Les années suivantes, les subventions reconduites empêchaient les nouvelles compagnies d'être aidées. Un contrôle sérieux est donc indispensable pour sécuriser les compagnies dans la durée sans les laisser pour autant sans contrôle de résultat. C'est un sujet épineux, car elles ont besoin d'être sécurisées dans la durée. Les résultats à considérer ne sont pas forcément économiques ou dans la fréquentation. C'est vraiment à étudier. Le système actuel est d'une grande perversité...
9. Défendre l’exception culturelle
• Défendre de façon intransigeante la langue française dans toutes les instances européennes et internationales. Soutenir l’expression artistique et culturelle francophone tant en France qu’à l’étranger. • Sortir la culture du champ des échanges marchands, tant à l’UE qu’à l’OMC, dans la lignée de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO de 2005. • Étendre l’exception culturelle à la sphère numérique. • Développer une vraie coopération culturelle non marchande et émancipatrice, à l’opposé de la vente internationale de franchise (ex. : Louvre/Abou Dhabi). • Renforcer le réseau des Instituts français à l’étranger, gravement déstructuré et affaibli depuis deux quinquennats. Ce soutien accru concernera aussi les Écoles françaises à l’étranger (Rome, Athènes, Le Caire, etc.) ainsi que les missions archéologiques.
Il faut créer une nouvelle Europe, non celle du fric, mais celle des cultures, et étendre cet échange au monde entier. Il est un espéranto autre que de la finance. Je n'ai pas non plus oublié la phrase de Jean-Luc Godard : "La culture est la règle, l'art est l'exception."
10. Faire reculer l’emprise des multinationales culturelles
• Créer une médiathèque publique en ligne, avec une plate-forme d’offre légale en ligne de musique, de films et de contenus culturels. • Maintenir la loi de 1981 sur le prix unique du livre, sanctionner les abus (frais de transport offerts…) et supprimer toutes les aides fiscales ou indirectes aux mastodontes du commerce en ligne tels Amazon, Fnac.com, etc. • Diriger les marchés publics de livres (commandes de collectivités et de bibliothèques) vers les librairies indépendantes. • Mettre en place un prix unique pour les supports de musique, de jeux vidéo et de films. • Faire du·de la médiateur·trice du cinéma une véritable autorité de régulation, avec pouvoir de sanction. • Mettre à jour les dispositifs d’aides publiques existants pour redonner la priorité à la solidarité et à la diversité, et mettre un terme aux aides favorisant la concentration. • Créer un centre national du jeu vidéo, sur le modèle du centre national du cinéma, pour financer les créations françaises.
Les détracteurs du programme des Insoumis qui ne peuvent pas voir Jean-Luc Mélenchon en peinture invoquent que "les programmes sont des catalogues, mais qu'adviendra-t-il concrètement". Ne voient-ils pas que le seul fait de soulever toutes les incohérences du système actuel mérite que nous retroussions nos manches et rêvions d'un monde meilleur ? Dans un second temps, il s'agit dores et déjà de trouver les moyens d'appliquer ce programme. Il en est ainsi de tous les programmes. Quand on pense au gâchis d'argent utilisé pour des causes inutiles ou scandaleuses il s'agira d'affecter justement le budget à des causes indispensables pour que notre société se réveille de sa longue maladie.