Il y a 15 ans j'ai écrit un livre intitulé Le son sur l'image qui ne fut jamais édité parce que je désirais en améliorer le style. Entre temps j'avais imaginé le réécrire, mais mes priorités sont allées à la création musicale et sonore à laquelle s'ajoutent chaque jour les trois heures de rédaction du blog, plus le reste des affaires courantes dont des articles pour des publications papier. J'ai également écrit et publié depuis deux romans "augmentés". Ces réflexions, sorte de discours de la méthode, sont pourtant la clef de mon travail et évidemment le fruit de mes interventions pédagogiques. Le nouveau siècle a chamboulé pas mal de choses, remisant l'ouvrage dans un pli caché de mon ordinateur. Les temps avaient changé, les outils aussi. L'interactivité n'est plus sur le devant de la scène, elle a même considérablement régressé. Mes terrains d'intervention ont migré, même si je continue de composer pour le cinéma, les grandes expositions, Internet, les tablettes, etc., d'autant que j'ai recommencé à me produire en public et à enregistrer des albums dont le prochain, plus ambitieux que jamais, qui m'accaparera facilement une année pleine. Il y a 13 ans, j'ai inauguré ce blog où, tout au long de quelques 4000 articles, j'ai développé certaines idées que l'on retrouvera bien entendu au fil des chapitres. Aujourd'hui j'ai choisi de le publier tel quel pour qu'il ne reste pas lettre morte, une sorte de brouillon d'un livre en devenir. Comme la chose fait quelques 200 pages je le mettrai en ligne par petits bouts, tel un feuilleton...

J'avais souligné deux phrases en exergue :
Pour gagner mon pain, je vais chaque matin au marché. On y vend des mensonges. Plein d'espérance, je prends place parmi les marchands. (Bertolt Brecht, Élégie)
et
Ne pas être admiré. Être cru. (Jean Cocteau, Journal d’un inconnu)

Suivait le sommaire :
Fruits de saison : La liberté de l’autodidacte / Déjà un siècle / Transmettre
I. Une histoire de l’audiovisuel : Hémiplégie / Avant le cinématographe / Invention du muet / Régression du parlant / La partition sonore
II. Design sonore : La technique pour pouvoir l’oublier / Discours de la méthode / La charte sonore / Expositions-spectacles / Au cirque avec Seurat / Casting / Musique originale ou préexistante / Bruitages et un peu de technique / Le synchronisme accidentel / La musique interactive
III. Un drame musical instantané : Coup de chapeau à mes maîtres / Un collectif / Des films pour les aveugles / L'image du son / La nouvelle musique du muet / Rien que du cinéma !
IV. L’auteur multimédia : La quadrature du cercle / Carton, mon premier CD-Rom / Machiavel, scratch vidéo interactif / Alphabet, la poésie interactive / LeCielEstBleu, du Zoo à la Pâte à son / FlyingPuppet & Somnambules, le www en peinture / Coexistences, vers de nouvelles interfaces
V. Alimentaire, mon cher Watson : Derrière l’écran / Les droits d’auteurs / Perspectives
L'ouvrage se clôturait avec des éléments biographiques, quelques annexes, l'index des films cités, l'iconographie et des remerciements.

J'amorce donc cette publication :

Il y a mille et une façons d’aborder la question du son. Nous pourrions y passer toutes nos nuits, à la manière du conte arabe.
Cinéaste de formation, j’ai choisi de le présenter dans la relation complexe qu’il entretient avec l’image. J’aurais pu tout aussi bien le considérer dans sa confrontation à d’autres formes artistiques, tant le travail collectif me passionne et m’anime, tant je ne peux entendre le son détaché de son contexte, tant j’aime les images qu’il accompagne.
Compositeur par la force des choses, je ne peux l’imaginer que dans un contexte musical, où tout objet sonore fait partie d’une partition, immense comme celle du monde qui nous entoure, à taille humaine pour chaque œuvre à la recherche de son équilibre, architecture inouïe se faisant entendre pour peu qu’on y prête l’oreille. Le son s’émet en piste et non en scène, comme au cirque. Rien de frontal mais dispersion spatiale entourant l’auditeur d’un air de ne pas y toucher. Il se reproduit, se croise à l’infini, se fond enchaîné, se déchaîne. On n’a pas fini d’être surpris. En face, s’expose l’envers du décor, duvet d’elle encore, le je martelé par un Peter Pan se défendant contre les risques d’une hagiographie douteusement précoce, première personne du singulier qu’il restera à dissiper au fur et à mesure que nous nous enfoncerons dans le labyrinthe des questions sans réponse, de cette jungle de bruits terribles et délicats, des recettes de cuisine plus audacieuses que maîtrisées, un je moins dangereux que toute tentative de systématisation.

Illustration : en 1974 je joue le rôle d'un aveugle vendeur de cartes postales dans Lèvres de sang de Jean Rollin, film sur lequel je suis assistant